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Kenya : une valeur qui monte en Afrique

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REPORTAGE. Obama, Mark Zuckerberg, le pape François l’ont visité. Michel Sapin, ministre français de l’Économie, s’y rend. Quel est le secret du Kenya?

Kariboo ! Un aéroport aux normes internationales, et hautement sécurisé, des routes hautement praticables et de bonne qualité, des buildings un peu partout, pléthore de fast food, bienvenue à Nairobi ! « Welcome to the real hub of Africa ! » y lit-on. « Bienvenue dans le vrai hub de l’Afrique. » Nairobi, la capitale du Kenya, affiche haut son ambition, et pour cause, le Kenya est l’un des pays africains les plus attractifs à l’heure actuelle. « Nous avons reçu Obama, Mark Zuckerberg, même le pape François ! » souligne avec entrain le Dr Moses Ikiara, directeur général de Kenya Invest. Et si tout le monde se presse vers ce petit pays d’Afrique de l’Est, de près de 582 640 m2, loin de l’immense RD Congo ou du géant le Nigeria, un pays de 44 millions d’âmes, c’est qu’il est en passe de s’imposer comme le hub de l’Afrique de l’Est… Et même au-delà, à en croire certains observateurs déjà séduits par le Kenya. « Aujourd’hui, tout le monde prétend être un hub en Afrique, mais le fait est que le Kenya est le véritable hub Africain », assure le Dr Moises Ikiara, économiste de formation, mais aussi en charge de promouvoir le pays d’Uhuru Kenyatta auprès des investisseurs. « Si vous regardez dans le détail, en termes de stratégie économique, de diversification de l’économie, de qualité des ressources humaines, d’infrastructures…, il ne peut y avoir d’autre hub que le Kenya », poursuit-il.

Nairobi, quatrième ville la plus attractive d’Afrique

Qu’en est-il en réalité si on regarde dans le détail justement. Ancienne colonie britannique, pays que mère nature n’a pas doté d’autant de précieuses ressources naturelles que ses voisins du continent, le Kenya s’affiche aujourd’hui crânement. À en croire le cabinet d’audit Ernst & Young, Nairobi se classe en quatrième position en termes d’attractivité pour les investisseurs, derrière Johannesburg et Le Cap, en Afrique du Sud, et Lagos, au Nigeria. Parmi les critères justifiant ce classement, il y a le marché local et l’accès qu’il offre aux marchés régionaux tels que la Comesa, mais surtout l’East African Community qui regroupe 5 pays (Kenya, Tanzanie, Rwanda, Ouganda et Burundi), le premier marché commun africain, il y a le coût et la qualité de la main-d’œuvre locale, la productivité… Enfin, son parc d’infrastructures.

Un hub logistique régional

Sans doute le premier atout du Kenya, assurant autant la connection locale que régionale : un réseau routier de bientôt 472 kilomètres qui reliera l’est et le nord du pays, point de connexion avec le sud de l’Éthiopie notamment ; un aéroport international, le principal d’Afrique de l’Est avec près de 7 millions aujourd’hui de passagers par an ; le port de Mombassa, hub maritime régional par lequel transitent les marchandises en provenance du Kenya, mais également des pays enclavés voisins, l’Ouganda, le Burundi ou le Rwanda, soit un trafic de près de 27 millions de tonnes en 2015. Sans oublier la future ligne de chemin de fer Mombasa-Kigali, premier tronçon qui doit relier, à terme, en 2017 selon les autorités, Kampala, en Ouganda, puis Kigali, au Rwanda, jusqu’à Juba, au Soudan du Sud, soit un total de 2 900 kilomètres. Un investissement de 10 milliards d’euros au total financé par la China Exim Bank, construit par China Road and Bridge Corporation (CRBC) et destiné à confirmer le positionnement du Kenya comme hub logistique régional. En matière d’énergie également, le pays est passé de 27 % en 2013 à 56 % en 2016, et un objectif fixé à 80 % d’ici à 2020, en s’appuyant notamment sur le développement des énergies renouvelables. Avec l’essor des nouvelles technologies qui accélèrent le développement du pays, et un système éducatif réputé comme l’un des meilleurs du continent, le Kenya s’inscrit en effet comme principale plateforme d’investissement du continent.

Un modèle d’émergence réussie en Afrique ?

Le résultat d’une volonté politique. Ces dernières années, le gouvernement a fortement investi dans les infrastructures : 18 % du PIB en 2000 à 22,4 % en 2014, avant de reculer à 21,2 % l’année dernière, mais il doit atteindre les 22,5 % cette année, ce qui est d’ailleurs le premier moteur de la croissance économique, autour de 6 %, avec l’agriculture et les services. « Les deux tiers de la croissance kenyane viennent de l’investissement public, observe Benoît Gauthier, responsable du département économique à l’ambassade de France du Kenya. Le reste, ce sont les exportations. » En effet, le Kenya affiche également un secteur privé très dynamique, principal exportateur de la région avec, pour produits phares, le thé, les produits pétroliers raffinés ainsi que les fleurs coupées. « Quand sur six points de croissance, quatre proviennent de l’investissement public, c’est énorme, digne des trente glorieuses, ajoute Benoît Gauthier. Le Kenya peut apparaître comme un modèle d’émergence réussie en Afrique. Même si on sent qu’on arrive au terme de l’euphorie. Le véritable pic en termes d’attractivité, c’était il y a trois ans. Aujourd’hui, ça s’essouffle. Ceci dit, cela reste l’un des pays, non pas le plus facile, mais l’un des plus faciles de la zone. »

Rwanda, Éthiopie, Tanzanie… : les challengers

Ceci étant dit, le Kenya doit encore faire face à de véritables challengers dans la région. Le Rwanda, mais également l’Éthiopie en pleine ouverture, sans oublier la Tanzanie… « En termes de NTIC, l’Éthiopie aimerait bien se positionner, mais c’est difficile de le faire dans un pays où l’Internet est coupé régulièrement, où les jeunes n’ont du coup pas accès facilement au réseau et où les démarches administratives relèvent du parcours du combattant. La Tanzanie quant à elle est encore engluée dans un système économique de développement assez archaïque, mais arrive à croître à un bon rythme tout de même. Le Rwanda, oui, est un concurrent extrêmement sérieux pour le Kenya, même si sa petite taille reste un handicap pour se faire une place réelle et une image forte, analyse Julien Garcier, cofondateur de Sagaci Research, une société d’études de marché dédiée au continent Africain, installé au Kenya depuis trois ans. La force principale du Kenya est que le pays ne dispose pas (ou très peu) de ressources naturelles (pétrole, mines…) ! Par conséquent, l’économie du pays est relativement diversifiée : agriculture, services (services financiers, télécoms…), industrie, tourisme… Cela permet au pays d’être mieux armé pour faire face aux différentes fluctuations des cours des matières premières par exemple, et de s’efforcer à développer de l’activité économique dans d’autres secteurs. »

Des défis majeurs à court terme

Véritable point faible du pays, la corruption, « derrière l’image d’un pays libéral, structuré et moderne, la corruption est omniprésente… à tous les niveaux, de la corruption organisée à grande échelle à la corruption au quotidien dans l’administration », ainsi que le chômage des jeunes qui, paradoxalement, reste l’un des plus importants du continent. « Une économie de services ne permet pas de créer suffisamment d’emplois non qualifiés notamment. Il faut du personnel qualifié, éduqué pour ces emplois. Cependant, la notion de chômage, tel qu’on le connaît en Europe, n’existe pas vraiment, car tout le monde doit avoir un petit boulot pour (sur)vivre. Mais c’est vrai qu’il manque d’emplois formels. L’industrie manufacturière n’est pas encore assez développée (manque d’infrastructure, coûts de production trop élevés…) pour créer tous ces emplois. » Même si à ce niveau, l’une des alternatives se trouve dans l’autoentreprenariat avec un pays qui, là aussi, s’affiche en modèle en faveur notamment de l’essor des start-up, et plus généralement des PME. Ceci étant dit, il semble que l’environnement soit favorable à lautoentreprenariat des jeunes. On parle même d’un modele kényan en termes de développement des PME… Un élément au cœur de la vision Kenya 2030. À cet horizon, le Kenya ambitionne d’atteindre le statut d’économie émergente. Un pari tenable pour le président de la chambre de commerce locale, Kiprono Kittony, lequel positionne le Kenya non seulement comme hub régional, mais également continental. « Le Kenya est le seul pays africain avec une véritable économie libérale. Avec une stratégie claire, la vision 2030, une économie forte et durable. Nous avons encore des challenges importants, la corruption, le chômage des jeunes, mais qui ne sont pas des défis seulement pour le Kenya, mais pour l’ensemble du continent. Et nous allons y faire face ! »

La mise à l’épreuve politique

En attendant, la stabilité politique, autre facteur d’attractivité, va être mise à l’épreuve cette année avec l’élection présidentielle prévue l’été prochain. Si la dernière échéance s’est déroulée sans heurt, le Kenya a connu dans le passé des troubles post-électoraux liés à une division ethnique qui reste importante malgré un cosmopolitisme affiché, notamment à Nairobi. « L’ethnie reste le marqueur social le plus important, indique un journaliste local. Derrière un cosmopolitisme affiché, dans les faits les deux ethnies majoritaires – les Kikuyu et les Luhya –, qui se sont alliées pour le pouvoir, gardent la mainmise sur les principaux postes. » Au risque lié au calendrier politique s’ajoute celui du terrorisme. Même si le pays qui fait face à la menace des shebabs avec plusieurs attaques importantes (attentat à l’ambassade des États-Unis à Nairobi, attaque du centre commercial Westgate, etc.) a mis en place un système de sécurité hautement performant. Mais fortement subventionné par les États-Unis. Reste à savoir si l’arrivée de Trump à la tête de la première puissance mondiale changera la donne. Peu sûr qu’il soit aussi sensible aux charmes de ce pays dont Obama était originaire…

Avec le Point Afrique

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