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Entretien choc : Le paradoxe des sénatoriales au Gabon, quand la démocratie se joue sans adversaires

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Dans un contexte politique marqué par des élections sénatoriales sans réelle compétition, l’honorable Justine Judith Lekogo, députée de la Transition et récemment élue, livre son analyse sans détour. Elle revient sur ce qu’elle qualifie de “mise en scène démocratique” et appelle à un sursaut de sincérité politique au Gabon.

Honorable Justine Judith Lekogo, les élections sénatoriales se tiennent cette année dans un contexte particulier. Dans plusieurs circonscriptions, certains candidats se présentent seuls. Comment interprétez-vous cette situation ?

Honorable Justine Judith Lekogo : C’est effectivement un paradoxe. Une élection est censée être un moment fort de confrontation démocratique, un espace où les idées, les projets et les visions s’affrontent. Mais lorsqu’il n’y a qu’un seul candidat en lice, peut-on encore parler d’élection ?

Dans ce cas, le scrutin perd sa substance. On assiste à une sorte de mise en scène électorale, un rituel vidé de sa signification politique.

Pourtant, malgré l’absence de concurrence, on voit ces candidats mener campagne avec ferveur : affiches, meetings, slogans… Pourquoi ?

C’est justement ce qui illustre le décalage entre la forme et le fond. Faire campagne sans adversaire, ce n’est plus convaincre, c’est communiquer.

Ces démonstrations servent moins à gagner des électeurs qu’à afficher une puissance politique, à séduire le sommet de l’État, ou à légitimer un poste déjà acquis.

En réalité, on ne mène pas une bataille électorale, on joue un rôle dans une pièce écrite d’avance. C’est une campagne de communication, pas de conviction.

Peut-on parler d’un manque de pluralisme politique dans ce contexte ?

Tout à fait. Le fait que plusieurs sièges soient pourvus sans compétition traduit une crise profonde du pluralisme.

Certains acteurs politiques se découragent, convaincus que le système est verrouillé et que tout est décidé à l’avance. D’autres s’autocensurent par discipline partisane.

Nous glissons ainsi d’une démocratie de compétition à une démocratie de confirmation, où l’on ne choisit plus, on ratifie. Et quand les citoyens voient que le jeu est faussé, ils se détournent des institutions.

Que faudrait-il faire, selon vous, pour redonner du souffle à cette démocratie ?

Il faut restaurer les conditions d’une véritable compétition électorale. Cela passe par des réformes concrètes :

 • Ouvrir les candidatures à tous les profils, y compris les indépendants ;

 • Garantir la liberté de se présenter sans subir de pressions politiques ;

 • Encadrer les campagnes lorsqu’il n’y a pas d’adversaire, pour éviter le gaspillage et les manipulations médiatiques.

Il faut redonner sens au vote et au débat d’idées.

Un dernier mot, honorable ?

Oui. La campagne d’un candidat unique ne démontre pas la force d’un système, mais sa fragilité.

Elle révèle une démocratie d’apparence, où la communication prend le pas sur la conviction.

Les sénatoriales devraient être un moment de respiration démocratique, pas une mise en scène.

Parce qu’une démocratie sans pluralisme, c’est comme un match sans adversaire : quel que soit le score, le jeu a perdu tout son intérêt.

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