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RDC : Félix Tshisekedi, une journée d’investiture historique mais contestée

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Visiblement sous le coup de l’émotion, l’ancien opposant officiellement devenu le cinquième président de la RDC s’est adressé longuement aux Congolais dans son premier discours.

Du jamais-vu de mémoire de Congolais. C’est la première fois ce jeudi 24 janvier depuis l’indépendance de la République démocratique du Congo qu’une passation pacifique du pouvoir s’est déroulée au palais de la Nation de Kinshasa, siège de l’actuelle présidence au bord du fleuve éponyme, là où l’indépendance avait été proclamée le 30 juin 1960.

Une journée historique

Avant tout, une prière a été dite par le révérend André Bokundoa représentant légal de l’église protestante luthérienne du Congo suivi de l’ouverture de l’audience publique et solennelle de la Haute Cour constitutionnelle siégeant pour prestation de serment du nouveau président élu de l’élection du 30 décembre, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo au cours de laquelle ce dernier a prêté serment devant Dieu et à la nation de défendre la Constitution et les lois du pays. Cet événement a été suivi de la cérémonie proprement dite de la passation du pouvoir où le président sortant Joseph Kabila a remis solennellement à son successeur quelques symboles du pouvoir, dont le drapeau et la Constitution du pays.

Ce qu’a dit Félix Tshisekedi

« Ce jeudi 24 janvier 2019 est un jour historique. C’est un jour rêve par tous les acteurs qui ont porté notre beau pays dans ce qu’il avait de noble. Nous ne célébrons pas la victoire contre un autre, nous honorons un Congo réconcilié. Ce ne sera pas un Congo de la division, de la haine ou du tribalisme. Nous voulons construire un Congo fort. Un Congo tourné vers son développement, un Congo pour tous dans lequel chacun mérite sa place », a déclaré le nouvel homme fort de Kinshasa. Avant de rendre un hommage appuyé à son prédécesseur : « Nous rendons hommage à celui qui a été l’acteur de la matérialisation de l’alternance démocratique et pacifique, Monsieur le Président Joseph Kabila », a déclaré le nouveau dirigeant de la RDC. À peine élu, mais déjà très contesté, Félix Tshisekedi a tenu à rendre hommage à son ancien partenaire devenu principal opposant, Martin Fayulu, « un soldat du peuple ».

Il a en outre salué la mémoire de feu Étienne Tshisekedi, son père et icône du parti UDPS, mort le 1er février 2017 et dont la dépouille est toujours à Bruxelles, en Belgique. Enfin, le nouveau président a annoncé le recensement dans le prochain jour des prisonniers politiques en vue de leur libération. Mais Félix Tshisekedi a été obligé d’interrompre un moment son discours d’investiture, visiblement en raison d’un malaise, sous les yeux des invités officiels et de centaines de ses partisans. Il a justifié cet aléa par les émotions endurées ce dernier jour, mais ses proches quant à eux indexent le gilet pare-balles étouffant.

Paroles de Congolais autour de la cérémonie

Lorsqu’il réapparaît à la RTNC et poursuit son discours, Félix Tshisekedi fait part de son émotion en évoquant la fameuse tirade de l’ancien président Mobutu Sese Seko, annonçant après 25 ans de règne la fin du parti unique au Zaïre. « Très beau discours du président Tshisekedi, j’ai été servi personnellement, dont j’attends impatiemment sa concrétisation », a dit Oscar Mutombo fonctionnaire et partisan de Tshisekedi juste après cette cérémonie.

Tout aussi commenté, le nouveau look du président sortant Joseph Kabila, barbe rasée et tête chauve. « Kabila ne cesse de nous surprendre, c’est vraiment un fin stratège. Il sort comme il était entré », a déclaré Yves Ngolo-Ngolo étudiant en sciences politiques et militant d’un mouvement citoyen présent lors de la cérémonie.

Ensuite, c’est le malaise qu’a fait le nouveau président Félix Tshisekedi qui a retenu l’attention des Kinois, « c’était la panique et je suis resté sans mots, au fond de moi-même je me disais, Dieu que rien de mal arrive à notre président », raconte Jean-Poupon Kalala, un jeune du parti de Tshisekedi. D’autres ont pointé l’absence de dirigeants étrangers à l’investiture, seul le président k »nyan Uhuru Kenyatta avait fait le déplacement, les autres pays ont été représentés par des ministres et leurs représentations diplomatiques accréditées à Kinshasa. Ernest Kibalo, juriste et analyste politique, justifie cela par la rencontre économique de Davos où des nombreux chefs d’État avaient fait le déplacement.

Selon Francis Nsengaba, un militant de la coalition Lumuka de Martin Fayulu, ce faible déplacement des chefs d’État montre le manque de crédibilité et de transparence lors du processus électoral. « La présence du chef de l’État du Kenya s’explique du fait que celui qui a été le parrain de l’accord entre Félix Tshisekedi et Vital Kamhere, qui a donné naissance à la coalition Cach et à l’investiture de Tshisekedi comme candidat commun après leur retrait de l’accord de Genève », a-t-il conclu.

Passation pacifique du pouvoir

Le sortant, Joseph Kabila, 47 ans, l’un des plus jeunes dirigeants africains, resté au pouvoir durant dix-huit ans après avoir succédé à son père, a passé le flambeau à Félix Tshisekedi, 55 ans, élu le 30 décembre dernier à la présidence. Les deux hommes comptent ainsi entrer dans l’histoire comme les acteurs de la première transition sans violence ni effusion de sang de l’histoire congolaise. Une histoire marquée par deux coups d’État (1965 et 1997), les deux assassinats des dirigeants Patrice Lumumba, en 1961, et Laurent-Désiré Kabila, en 2001, et deux guerres qui ont ravagé l’est du pays entre 1996 et 2003.

Si cette journée s’avère historique aux yeux du monde entier, des Congolais n’ont pas oublié les irrégularités ayant entaché le processus électoral du 30 décembre dernier qui a vu Félix Tshisekedi être proclamé dans la nuit du 10 janvier dernier comme étant le vainqueur de cette élection présidentielle. « C’est un jour historique pour tout Congolais, car, pour la première fois, nous allons assister à une passation du pouvoir entre un ancien président et son successeur, de quoi s’enthousiasmer », jubile Herve Tshimpama, étudiant en médecine partisan de l’UDPS se dirigeant au palais de la Nation lieu.

Sandrine Pangu, une maraîchère d’un marché de Kinshasa, se contente pour sa part de rappeler au nouveau président les nombreux défis qui l’attendent : « Nous lui demandons de ne pas prendre les distances face à notre misère. Nous souffrons, nos maris n’ont pas de travail et la vie est devenue intenable. Qu’il fasse de la création des industries une priorité », a-t-elle insisté.

Un changement dans la continuité ?

La grande partie des Congolais n’hésite pas à exprimer son mécontentement face à cette victoire inattendue du fils d’Étienne Tshisekedi. Ils voient en cela la continuité de la politique de l’ancien régime au regard des tractations qui ont eu lieu entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila, peu avant sa proclamation comme vainqueur à la présidentielle du 30 décembre contestée par l’autre camp de l’opposition que dirige Martin Fayulu, qui n’a pas hésité à qualifier cette élection du « putsch électoral orchestré par Joseph Kabila avec la complicité de Tshisekedi ».

Contacté à ce sujet, le professeur Isidore Ndaywel, historien et membre du puissant Comité laïc de coordination (CLC), un mouvement des laïcs catholiques initiateur des marches de contestation contre le 3e mandat anticonstitutionnel de Joseph Kabila à la fin de l’année 2017 et début 2018, estime qu’il y a eu changement dans la continuité. « Ce que je dois dire, c’est qu’il y a eu changement à la tête du pays. Mais, pour notre population, il n’y a pas eu un changement de système, mais tout simplement un changement d’individu », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Nous aurions souhaité que ces élections puissent mettre un terme aux crises de légitimité à la tête de l’État, mais nous constatons que les contestations des animateurs de l’État vont se poursuivre parce que la grande majorité de notre population ne se retrouve pas dans ce qui se passe. »

Par ailleurs, du côté de la puissante Église catholique, aucune déclaration officielle n’a été faite jusque-là. Sinon l’interview que l’archevêque de Kinshasa, Mgr Fridolin Ambongo, a donnée à France 24 dans laquelle il a rappelé au nouveau président les attentes du peuple : « Qu’il n’oublie pas d’où il vient, il vient du peuple et le peuple souffre. » Quant à la participation de l’Église catholique à la cérémonie d’investiture, Mgr Ambongo a tranché : « Une invitation n’est pas une convocation. »

Sur le terrain, dans l’ensemble, la ville de Kinshasa s’est réveillée dans le calme. Il n’y a pas d’engouement ni de liesse à la hauteur de l’événement à part les quelques militants de l’UDPS qui se dirigent vers le lieu de la cérémonie, scandant des chansons à la gloire de leur leader sous la bonne escorte des hommes en uniforme postés dans les points stratégiques de la ville.

Avec le Point Afrique

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