Les opposants armés de l’Union des forces de la résistance n’avaient pas prévu l’opération La colère du désert lancée le 20 janvier dernier par l’armée nationale libyenne, autoproclamée, du maréchal Khalifa Haftar.
Après Benghazi et la Cyrénaïque, l’officier est en passe de conquérir le Fezzan, ce désert frontalier au sud du Soudan et du Tchad. L’objectif : chasser les rebelles soudanais au Darfour, le mouvement Justice et égalité. Des islamistes, selon l’officier, qui se livrent à tous les trafics de la Libye au Soudan. Pour Haftar, ce sont des mercenaires payés par ses frères ennemis, les milices de Tripoli et de Misrata, qu’il n’arrive pas, pour le moment, à contrôler. Proche de Jean-Yves le Drian lorsqu’il était ministre de la Défense sous François Hollande, Haftar est aujourd’hui en contact, sous l’égide des services égyptiens, avec un conseiller de l’Élysée, un commandant, ancien du 13e régiment de dragons parachutistes intégré aux forces spéciales. Car, à Paris, on considère, avec l’allié égyptien, Haftar comme un partenaire dans la lutte contre le terrorisme. Idem pour le président tchadien Déby, qui a dépêché des troupes combattre aux côtés des soldats français du dispositif Barkhane au Mali.
Idriss Déby menacé…
Pour Idriss Déby, la menace directe vient cependant du Sud libyen, qui abrite ses opposants. Depuis que la rébellion a échoué, grâce à l’appui militaire français, à le chasser de son palais il y a 11 ans, elle s’est installée au Fezzan, de l’autre côté de la frontière. Son chef, Timan Erdimi, un neveu de Déby, s’est réfugié depuis au Qatar, auquel le Tchad demande en vain son extradition. « Coup de billard prémédité » ou conséquence de l’offensive de Haftar, les rebelles tchadiens se sont trouvés en quelques jours pris entre deux feux, N’Djamena et Paris suivant la situation de près.
L’armée nationale libyenne a engagé la bataille dans les oasis du Sud contre les rebelles soudanais, mais aussi contre les Toubous libyens, considérés comme des étrangers sous Kadhafi et désormais puissants en ayant su s’organiser dans le chaos qui règne dans le pays de l’ancien dictateur défunt. Des rivaux pour Haftar, qui se voit un jour président de toute la Libye. Pas directement pris à partie par les troupes du maréchal, les rebelles tchadiens ont vu toutefois depuis quelques semaines se rétrécir leurs libertés de manœuvre. En mars 2018, ils avaient déjà été bombardés par l’aviation de Haftar, et avaient accusé le maréchal d’être « le sous-traitant » d’Idriss Déby pour détruire ces rebelles. « Après les Soudanais, cela allait être leur tour. Ils auraient pu cette fois-ci s’allier avec les Toubous, mais ils ont fait un autre choix : rentrer au Tchad malgré les risques que cela comporte », explique un opposant à Idris Deby.
… a saisi une opportunité pour éliminer ses opposants armés
Le président tchadien saute sur cette occasion inespérée pour faire coup double : éliminer ses opposants et récupérer les mines d’or de Kouri Bougoudi, un site qui s’étend à cheval sur la frontière mais dont l’eau, indispensable pour les orpailleurs, est du côté libyen. Un eldorado dans le désert où s’affrontent violemment les rebelles soudanais et tchadiens. En décembre et en janvier dernier, les combats font rage, mettant cette zone précieuse hors de contrôle des autorités de N’Djamena. Aussi, quand des patrouilles de militaires tchadiens découvrent les traces de pick-up dans le massif de l’Ennedi, elles sont surprises.
Grâce à un drone Reaper de l’armée française basée à N’Djamena, les 4×4 sont vite repérés. Une cinquantaine, soit environ 400 combattants, peu équipés. Depuis leurs postes des camps de Fada et d’Ounianga, les soldats se lancent à la poursuite des intrus qui filent à 100 à l’heure. Sans succès. Les officiers sont pour la plupart des Zagawas, l’ethnie du président Deby et… celle des rebelles, dont le chef est un parent né comme lui à Amdjarass. Tous connaissent la région sur le bout des doigts. Impossible de les stopper sans l’appui des Mirage 2000 tricolores qui, après un « show of force » en rase-mottes pour leur intimer de rebrousser chemin, sont revenus pour bombarder en effectuant plusieurs passages. Le bilan est lourd : 20 véhicules détruits. Beaucoup moins, selon les rebelles. Des terroristes qui seraient tous éliminés ou prisonniers, selon l’état-major tchadien. Du côté français, « cette intervention répond à une demande d’assistance formelle du Tchad ». Une intervention très critiquée par l’opposition à N’Djamena, qui n’est pas menacé par des fanatiques djihadistes comme ses voisins.
Les rebelles pris au piège
Malgré les nombreux affrontements que ce pays a connus depuis des décennies, l’islamisme n’a jamais été le moteur de la guerre, quelles que soient les factions. Reste que les rebelles venus de Libye semblent être tombés dans un piège en fuyant leurs sanctuaires. Mais avaient-ils le choix ? Combien ont-ils pu s’échapper ? Les ratissages continuent, à terre comme depuis le ciel. Les rescapés pourraient trouver refuge dans l’Ennedi, dont ils sont originaires, pour tenter de constituer une nouvelle rébellion, difficile à éradiquer par des troupes issues des mêmes clans que les rebelles. Ou bien rejoindre Dar Fongoro, un massif aux trois frontières, du Tchad, du Soudan et de la République centrafricaine, qui abrite encore une poignée de combattants depuis dix ans. Il y est plus facile de se ravitailler et surtout de se cacher dans les grottes qui surplombent la brousse à perte de vue. Une menace de faible intensité pour le régime du président Idriss Déby, qui a su, en fin tacticien, se rendre indispensable auprès de la France par son engagement incontestable dans la lutte contre le terrorisme.
Avec le Point Afrique