Mesdames et Messieurs,
Honorables Députés,
J’ai été invité par lettre de votre président, à me faire auditionner dans le cadre de l’examen du projet de loi portant modification de certaines dispositions de la loi n° 006/2020 du 30 juin 2020 portant modification de certaines dispositions de la loi n° 042/2018 du 5 juillet 2019 portant code pénal en République Gabonaise. Et connaissant la personnalité de votre Président, son expérience et l’estime dans laquelle je le tiens, je considère cette invitation comme un honneur.
Je voudrais avant de commencer à échanger, l’en remercier de cette marque d’estime.
Dans le dossier qui m’a été envoyé, j’ai eu un document sur les articles annulés, un document sur les nouvelles propositions objets des lois précitées et une liste des questions des Honorables Députés.
Je suis resté sur ma faim, car il manque un document fondamental, l’exposé des motifs, même quand on rédige une Constitution, on prend le soin de joindre un document qui contient les détails des travaux préparatoires pour permettre à ceux qui vont avoir à interpréter la Constitution de s’en référer le cas échéant.
Dans le cadre d’une révision aussi importante des lois qui régissent des domaines qui conditionnent notre vie, le législateur prend toujours le soin d’exposer les raisons qui l’amènent ou à innover, ou à changer les dispositions en vigueur.
Vouloir renverser les préjugés et les règles d’une morale étriquée et être enfin soi-même, ce n’est pas nécessairement mauvais au contraire, mais à condition de savoir qu’au-dessus des lois, de la morale humaine, existent des lois éternelles établies par l’intelligence cosmique et qu’on le veuille ou non, si on transgresse ces lois-là, on le paiera très cher d’une manière ou d’une autre.
Dans notre pays, chaque fois qu’on a touché la famille, cette institution capitale, dans sa composition ou dans son fonctionnement, les conséquences nous les avons vécues encore très longtemps.
Le premier à l‘avoir fait, fut le Président Léon Mba, il a supprimé la Dot, ce qui était une grande avancée à l’époque. Mais dans l’exposé des motifs de cette loi, le législateur a expliqué les raisons qui l’ont amené à proposer ce changement : la brutalité des hommes, le fait de considérer la femme comme une marchandise qu’on a acheté et qui devient taillable merci.
Dans un pays où l’esclavage a fait tant de dommages, verser une grande somme pour avoir la main d’une femme, revient à donner au mari le sentiment de l’avoir achetée et le droit de faire de son achat ce qu’il veut.
Mais le Président Léon Mba a sorti la dot par la porte, donc par une disposition légale, de nos jours elle est revenue par la fenêtre en décuplant, et l’appétit des parents par les listes qui sont remises au futur marié et d’autres considérations telles que la situation et la formation de la future mariée.
Cette législation a été battue en brèche.
À la suite de nos traditions, de nos us et coutumes, l’église est venue remplacer par une nouvelle autorité morale, les règles qui régissent le mariage.
Dans Ephésiens, Chapitre 5, versets 22 à verset 31, la Bible donne un aperçu, du moins, une tentative de régler les relations entre les époux.
Dans le verset 22: il dit «Femmes soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur »;
Dans le verset 23 : il dit « Car le mari est le chef de la femme, comme Christ est le chef de l’église, qui est son corps, et dont il est sauveur » ;
Dans le verset 28 : il dit « C’est ainsi que les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Celui qui aime sa femme S’aime lui-même » ;
Dans le verset 29 : il dit « Car jamais personne n’a haï sa propre chaire, mais il la nourrit et en prend soin, comme Christ le fait pour l’Eglise » ;
Dans le verset 30 : il dit « par ce que nous sommes membres de son corps » ;
Dans le verset 31 : il dit « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chaire ».
Je n’irai pas jusqu’à épouser totalement ce que dit la Bible, moi qui suis un animiste, un traditionaliste, nourri au lait et à l’esprit des peuples Gisir,
Mais mon regret est de ne pas trouver en face de chaque article supprimé, les raisons qui amènent la nouvelle rédaction, c’est-à-dire la nouvelle loi qui désormais va régir la matière.
Une des raisons est de vouloir normer une situation, mais la condition est d’expliquer en quoi la nouvelle norme est-elle supérieure à la norme proposée à la suppression, en quoi la disposition proposée à la suppression est-elle nuisible ou cause des dommages aux citoyens assujettis à cette loi.
Le droit gabonais de la famille trouve son fondement dans les lois du 29 septembre 1972 (1ère partie du code civil) et du 30 Décembre 1989 (2ème partie du code civil). Cet ensemble qui forme le code civil régit aussi bien le droit extrapatrimonial que le droit patrimonial de la famille.
Dans son ensemble ce droit peut être considéré comme tourné vers son passé, faisant la part belle à la tradition et en même temps s’orienter vers l’avenir, le futur pour échapper à un passé considéré comme rétrograde.
Tel que présenté ce droit peut apparaître tantôt inégalitaire, tantôt égalitaire.
Ce double visage est révélateur du conflit qui existe entre le code civil et le bloc de constitutionalité, c’est-à-dire la constitution et son préambule, le code civil et les engagements internationaux pris par le Gabon et enfin le code civil et la coutume.
Ce conflit se matérialise par l’existence de dispositions contraires au principe d’égalité des citoyens devant la loi.
Ce principe est affirmé dans le bloc de constitutionnalité : article 2 de la constitution) et dans les textes à valeur supra nationale (article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, articles 1,2 et 16 de la déclaration Universelle des Droits de l’Homme, article 3 de la charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples et à l’ »article 2 de son protocole relatif aux droits de la femme en Afrique, adopté à Maputo au Mozambique en 2003.
A ces textes il faut rajouter les articles 1, 15 et 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes.
L’égalité consacrée par ces textes commande que tous les citoyens jouissent des mêmes droits et assument les mêmes devoirs.
L’origine des inégalités en droit de la famille est à rechercher dans l’histoire même de la famille, famille d’essence coutumière contrairement à la famille occidentale de type nucléaire.
Cette famille gabonaise regroupe des individus d’un ancêtre commun et elle était régie par leur statut personnel qui s’appliquait à la formation, aux effets et à la dissolution du mariage.
Dans son application ce statut personnel était défavorable aux femmes, notamment sur les questions liées à l’âge matrimonial et à la polygamie.
Avec l’abandon progressif du statut personnel et des institutions familiales traditionnelles on va tendre vers les prémices d’un visage égalitaire, les décrets Mandel et Jacquinot qui interdisent le mariage avec une jeune fille à naître ou impubère et exige que la femme donne désormais son consentement au mariage.
Les deux paries du code civil n’ont pas pu parfaire cette égalité.
C’est cette nouvelle orientation caractéristique du droit gabonais de la famille qu’il convient de corriger en le concevant désormais à partir d’un principe général d’égalité dans les rapports familiaux et la prise en compte des valeurs sociales profondes et traditionnelles à la constitution et aux engagements internationaux du Gabon et c’est justement ce qui peut justifier la présente modification de certains articles du code civil et du code pénal.
Sur le questionnaire des Honorables députés
- La définition de la famille au sens de la constitution
La constitution ne définit pas la famille.
Elle dit que la famille est une institution est une institution qui est la cellule de base de la société et que le mariage en est le support légitime, c’est l’union d’un homme et d’une femme.
- Le retrait de la notion de chef de famille (article 252 du code civil)
Elle renvoie à la question de la puissance maritale.
Aux termes de l’article 252 du code civil « par l’effet du mariage, le mari doit protection à sa femme, la femme doit obéissance à son conjoint ».
Article 253 « le mari est le chef de famille. Il exerce cette fonction dans l’intérêt commun du ménage et des enfants … ».
Avec l’égalité prônée par la révision, il s’agit désormais d’une direction conjointe matérielle et morale de la famille.
Par exemple ils devront choisir ensemble la résidence familiale et en en cas de désaccord, c’est au juge qui sera désormais chargé de les départager.
Cela implique également une égalité de pouvoir, c’est-à-dire une égalité de responsabilité, on tend désormais vers une co-gestion. La femme ne sera plus là juste pour seconder l’homme.
La notion de « juste motif » signifie que si la résidence choisie par l’homme pose un problème pour la famille, la femme peut désormais demander à résider séparément et ce sera à l’appréciation du juge. Le juste motif pourra être l’insécurité, l’insalubrité ou encore les nuisances sonores…
- L’administration des biens selon les régimes matrimoniaux
Le législateur procède à une répartition inégale des charges du ménage qui incombe à titre principal à l’homme (article 259).
La femme contribue en prélevant sur les ressources dont elle a l’administration et la jouissance par ses apports en communauté, par son activité au foyer ou sa collaboration à la profession du mari. D’ailleurs la femme est placée sous la subordination financière du mari qui doit lui fournir tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie.
- La communauté de vie
La communauté de vie implique la communauté de toit et donc de lit. C’est à travers la communauté de vie que seront mis en pratique les devoirs résultant du mariage, c’est-à-dire la fidélité, l’assistance et le secours.
- L’âge de la majorité civile en harmonie avec la majorité matrimoniale
Selon l’article 203 « l’homme » avant 18 ans révolus et la « femme » avant 15 ans révolus ne peuvent contracter mariage.
Cette différence d’âge pour contracter mariage heurte de front les dispositions du bloc de constitutionalité qui prescrit l’égalité entre l’homme et la femme et la Convention de Maputo qui interdit le mariage d’une jeune fille avant l’âge de 18 ans.
Ceci peut expliquer le nouvel article 203 « l’homme et la femme avant 18 ans révolus ne peuvent contracter mariage ».
Ce serait peut-être l’occasion pour le législateur gabonais de fixer une majorité unique en droit positif. Il serait bien inspiré d’harmoniser ses majorités civile et commerciale 21 ans, politique 18 ans et matrimoniale 18 ans.
- Le patronyme lors de la célébration du mariage
Le patronyme au sens de l’article 235 est l’une des preuves du le mariage « que L’homme et la femme porte le même nom ».
En effet, avec le mariage la femme porte le nom de son époux, mais elle n’y est pas obligée.
C’est en principe l’homme qui transmet le nom à sa descendance.
Aux termes de l’article 93 « tout gabonais doit avoir un nom auquel s’ajoute celui de son père et éventuellement un ou plusieurs prénoms ».
L’article 94 va dans le même sens s’agissant de l’enfant légitime ou naturel.
Par contre dans le droit coutumier en pays GUISIR, on adjoignait à l’enfant le nom de sa mère et non celui de son père « MEYILE ME DIFUMBU MANGARI ME DIENGUI… ».
Donc la tradition peut être aussi avant-gardiste et égalitaire ou faire la part belle aux femmes.
- les rapports pécuniaires entre époux
Selon l’article 261 du code civil, la femme peut en principe exercer la profession de son choix, à condition que le mari dans l’intérêt de la famille et sur autorisation du juge ne le lui interdise pas.
Cette relative autonomie de la femme s’accompagne d’une autonomie bancaire tout aussi approximative.
Il ressort en effet de l’article 262, que la femme qui exerce une profession, administre ou jouit de ses biens propres peut se faire ouvrir un compte courant en son nom propre.
Cette autonomie bancaire peut paraître aussi relative, dans ce sens ou la femme qui n’exerce pas une profession ou s’est vu refuser l’exercice d’une profession par le juge à la demande de son mari, ne peut par conséquent ouvrir un compte personnel en son nom propre.
En général, concernant les rapports pécuniaires entre époux le législateur fait valoir deux principes qui se complètent. D’une part, il consacre le principe d’interdépendance des époux qui suppose une collaboration dans l’administration de la famille (article 254 al 3).
D’autre part, sur le fondement de l’article 256 un époux peut passer seul, avec l’autorisation du juge les actes pour lesquels le consentement de son conjoint est exigé, il suffit qu’il établisse que le conjoint est hors d’état de manifester sa volonté ou que son refus de l’acte n’est pas justifier par l’intérêt de la famille.
Proposition :
Tout en vous remerciant pour l’honneur que vous venez de me faire par cet échange, et le plaisir que j’ai eu à ceux-ci, je fais une proposition.
Il faudrait que le Gouvernement songe à fondre toutes ces dispositions dans un Code de la Famille qui reprendra toutes les dispositions, y compris celles sur le mariage coutumier qui doit précéder le mariage civil.
A l’avenir, une révision aussi importante des textes fondamentaux tels que le Code Civil et le Code Pénal, devrait être préparée par une Commission au sein de laquelle on trouverait des juristes bien entendu, des anthropologues, des sociologues, ainsi que des diplômés de l’école de la vie c’est-à-dire ceux qui ont l’âge et l’expérience requis.
La politique quand c’est un art et non une exploitation, c’est une action au service d’un idéal à travers des réalités.
Voilà ma proposition.
Maître Louis Gaston MAYILA