Accueil Politique L’Afrique peut-elle se réconcilier avec la CPI?

L’Afrique peut-elle se réconcilier avec la CPI?

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 La rupture semble bel et bien consommée entre l’Union africaine et la CPI. Pourtant, l’Afrique peine à afficher son unité dans cette fronde, et certains préconisent plutôt des réformes. Retour sur une relation complexe.

« La victoire magnifique de l’Afrique contre la CPI ». Ainsi s’intitule la tribune  que le journaliste et militant des droits de l’homme nigérian Owei Lakemfa consacre à l’acquittement des Ivoiriens Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, acquittement prononcé en première instance par la Cour pénale internationale (CPI) mardi 15 janvier. Et d’évoquer dans les colonnes du site nigérian Premium Times la « douce victoire contre les puissances néocoloniales qui ont tenté d’humilier le continent en accablant un président africain d’accusations forgées de toutes pièces ».

C’est peu dire que la CPI souffre d’une mauvaise réputation en Afrique. Justice « des vainqueurs », du « deux poids deux mesures », « impérialiste »… L’idée d’une juridiction pénale internationale qui serait « contre » l’Afrique se diffuse bien sur le continent. Certains responsables politiques décochent même parfois des flèches acérées en direction du tribunal de La Haye. À l’instar du Premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn, qui l’accusait en mai 2013 de se livrer à « une sorte de chasse raciale » et souhaitait convoquer un sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA) pour réexaminer les relations entre les pays africains et la CPI. La question reste d’actualité : l’UA a entériné fin janvier 2017 le principe d’un « retrait collectif » du statut de Rome, qui fonde la CPI.

La CPI, un « impensé » qui recherche la paix par le droit

Pourtant, à l’origine du projet de juridiction pénale internationale voulu par des ONG et emmené par la Coalition pour la CPI (CCPI), « les États de l’Union africaine étaient un moteur du like-minded group, le groupe des États pilotes, partie prenante de la création de la CPI », note Sara Dezalay, professeur de relations internationales à l’université de Cardiff. Le but de la CPI est alors, fondamentalement, la paix. Son instrument est un nouveau droit qui s’élabore dans les tribunaux militaires internationaux (Nuremberg, Tokyo) de l’après-Seconde Guerre mondiale. Il ambitionne de concilier droit international et droit pénal, et de protéger « l’humanité », une catégorie qui serait au-dessus de tout. Dans cet idéal de justice universelle, la Cour transcenderait donc les États, supposés jusque-là concourir à la paix. Sauf que ce sont tout de même eux qui valident sa création et son fonctionnement. « Il y a dès le départ un impensé sur les rapports entre droit et politique au niveau international, mais aussi, d’un autre côté, sur les rapports entre Afrique, droit et politique », analyse Sara Dezalay.

Des chefs d’État en exercice inquiétés : le point de rupture ?

Au moment de l’adoption du statut de Rome en juillet 1998, le groupe des États africains est le plus important en nombre. Ceux-ci sont 34 à le ratifier – le Burundi s’est depuis retiré en octobre 2017. « C’est avec l’Affaire Omar el-Béchir que tout a commencé. C’est lorsqu’un des leurs a été visé que des chefs d’État africains se sont dit qu’il y avait peut-être un problème », estime Drissa Traoré, président d’honneur du Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH). En mars 2009, un premier mandat d’arrêt est émis contre le président soudanais, accusé de crimes contre l’humanité et crime de guerre au Darfour. Une décision qu’Omar el-Béchir balaie d’un revers de main et qui, dit-il « ne vaut même pas l’encre avec laquelle (elle) a été rédigée ». Nombre d’États africains font bloc derrière lui. En témoignent ses innombrables voyages à travers le continent, voire au-delà (Russie, Jordanie, Chine). « Nous ne répondrons pas aux appels de la CPI d’arrêter Omar el-Béchir », déclarait en juillet 2016 le dirigeant rwandais Paul Kagame dans le quotidien anglophone Sudan Tribune, en amont du 27e sommet de l’UA, organisé à Kigali. Avec le Kenya et l’Ouganda, le Rwanda a mené la fronde anti-CPI à l’automne 2013, dans le contexte des poursuites contre le président kenyan Uhuru Kenyatta – abandonnées en décembre 2014 – pour sa responsabilité supposée dans les violences postélectorales de 2007-2008. C’est « surtout l’affaire kenyane qui provoque ce qui pourrait ressembler à une demande de divorce, mais où chaque État défend pourtant des intérêts contradictoires. Avec Paul Kagame, par exemple, on est dans la remise en question du précarré et des rapports ambigus entre la France et le Rwanda », explique Sara Dezalay.

Ces intérêts contradictoires se traduisent par un manque d’unité derrière le chiffon rouge du retrait des États africains de la CPI agité par l’Union africaine. Lors du sommet de l’UA de janvier 2017, les réserves pointaient du côté du Liberia, de la Tunisie, de la Tanzanie, tandis que l’Afrique de l’Ouest formait plutôt dans son ensemble un bloc de défenseurs de la CPI.

Retrait de la CPI : divergences au sein de l’UA

La bataille pour un retrait des États africains de la CPI semble donc avoir peu de chances d’aboutir, pour l’instant. « D’un côté, l’UA décide de la non-coopération avec la CPI et, de l’autre, des États continuent de déférer des cas à La Haye », note Drissa Traoré, également vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme. C’est le cas du Mali, en juillet 2012, de la Centrafrique qui a renvoyé à la CPI une deuxième situation en mai 2014, ou du Gabon, en septembre 2016 (la Cour a abandonné les poursuites). Autant de cas qui ont de fait allongé la liste des pays africains concernés par des enquêtes préliminaires ou des poursuites de la CPI. Et, à cet égard, difficile de ne pas donner raison au président rwandais qui accuse cette juridiction d’« afrocentrisme ».

Analyse du Point Afrique

 

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