Plusieurs dizaines de lieux de culte pentecôtistes ont été fermés ces dernières semaines au Cameroun.
Le président Paul Biya a promis un « assainissement » face aux dérives à répétition de ces Églises qui prolifèrent dans le pays.
« Ma sœur a été violée (…) par des disciples de Tsala Essomba », le pasteur de l’Église pentecôtiste « Va et raconte » , dénonçait, mi-juillet 2013, l’écrivain camerounais Patrice Nganang dans la presse locale. Sévices corporels, séquestration de fidèles et détournement de leurs salaires, travail forcé, escroqueries en tout genre : la liste des dérives imputées aux promoteurs des mouvements religieux pentecôtistes implantés au Cameroun est loin d’être exhaustive.
Inquiètes, les autorités du pays ont déjà fermé plusieurs dizaines de lieux de cultes à Yaoundé, Douala (sud), Bafoussam (ouest) et Bamenda (nord-ouest), où une fillette de 9 ans a trouvé la mort, début août, lors d’une séance d’exorcisme. Toujours à Bamenda, la police avait déjà libéré en mars plusieurs femmes que le chef autoproclamé d’une Église évangélique séquestrait avec leurs enfants depuis 2001. « Ces entités irrationnelles constituent désormais une menace pour la sécurité de l’État, ce sont des mouvements fondamentalistes », souligne Jean-Paul Tsanga Foé, sous-préfet du 1er arrondissement de Yaoundé, qui a ordonné le 24 août 2013 la fermeture de dix églises.
« Ces mouvances néopentecôtiste sont arrivées au Cameroun pendant la période de la crise économique »
Au Cameroun, comme ailleurs en Afrique, les assemblées pentecôtistes, communément appelées « Églises de réveil », explosent, attirant des foules, mais la plupart prêchent dans l’illégalité. Alors que seules 48 Églises sont autorisées au Cameroun, la capitale compterait à elle seule 500 Églises clandestines et, dans le reste du pays, la percée des pentecôtistes serait tout aussi affirmée.
« Ces mouvances néopentecôtiste sont arrivées au Cameroun pendant la période de la crise économique (autour de 1986) et à la faveur de la loi de 1990 sur la liberté d’association », explique le P. Janvier Nama, professeur de philosophie et prêtre du diocèse catholique de Yaoundé. Si tous ne sont pas des escrocs, beaucoup de ces « prophètes » autoproclamés ouvrent une Église « pour exploiter la misère du peuple de Dieu ». Un Camerounais sur quatre vit au-dessous du seuil de pauvreté, jusqu’à 30 % des jeunes des grandes villes sont au chômage et les pandémies telles que le sida ou le paludisme sévissent. Or, les pasteurs pentecôtistes leur font miroiter miracles, guérisons et succès, séduisant des foules souvent crédules. « Dieu m’a envoyé au Cameroun pour bénir et délivrer les Camerounais », assure ainsi, lors d’un culte, Tsala Essomba, l’un des prédicateurs les plus controversés du pays. Les chrétiens « pensent qu’à travers ces discours incantatoires tenus par des assoiffés d’argent, ils peuvent trouver la guérison », critique le P. Nama. Mais « la plupart de ces Églises sont extrêmement dangereuses : comment peut-on demander aux populations de ne pas se rendre à l’hôpital mais d’aller plutôt trouver la guérison dans des incantations ? »
« elles remportent un succès d’autant plus grand que les Églises traditionnelles, catholique et protestantes, ont déçu de nombreux Camerounais »
« Quand la parole est adaptée, elle produit des miracles. Beaucoup de chrétiens viennent chez nous et trouvent des solutions à leurs problèmes », répond Patrick Yoro, responsable à Yaoundé de la Chapelle des vainqueurs, présente dans 51 pays dans le monde. Même s’il admet l’existence de « brebis galeuses » parmi les pentecôtistes, il estime que cela ne devrait pas discréditer la majorité. Pour lui, si les évangéliques séduisent, c’est tout simplement parce qu’ils s’y prennent mieux que les Églises classiques.
De fait, « elles remportent un succès d’autant plus grand que les Églises traditionnelles, catholique et protestantes, ont déçu de nombreux Camerounais, car ces dernières sont pour une grande part inféodées au pouvoir, analyse Fanny Pingeaud, auteur d’Au Cameroun de Paul Biya (Éd. Karthala). En outre, leurs dérives ne sont que le reflet d’une situation bien plus vaste de corruption dans la société camerounaise. »
La Constitution camerounaise consacre la liberté de culte, mais la création d’une association religieuse est soumise à une autorisation du chef de l’État. Pour créer une Église, il faut déposer un dossier au ministère de l’administration territoriale (intérieur). Après vérification des pièces requises, le ministère transmet l’identité du promoteur à la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE, renseignements) pour une enquête de moralité. Ce sont les résultats de cette investigation qui permettent au ministère de classer le dossier ou d’émettre un avis favorable pour le président, qui tranche in fine. La procédure paraît simple, mais, dans les faits, peu d’autorisations sont accordées. Depuis 2009, le président Biya n’a, en effet, autorisé qu’une seule congrégation religieuse. Pourtant, le ministère a émis, depuis 2010, des avis favorables pour plus de 200 dossiers. Saisi d’une multitude de plaintes, Paul Biya, lui-même entouré de mouvances ésotériques, a décidé de suspendre la délivrance de nouvelles autorisations.