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Gabon-Vacance de pouvoir : la parole aux juristes

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Alors que le président gabonais Ali Bongo est soigné à Riyad suite à une « fatigue sévère » selon la version officielle ou des suites d’un accident vasculaire cérébral (AVC) selon la presse occidentale, de nombreux gabonais se demandent si l’on est déjà face à une vacance du pouvoir au sens constitutionnel.

Marie Madeleine Mbourantsuo et Boniface Roux Boudiala, Juriste-Enseignant à la Faculté de droit et de sciences économiques de l’Université Omar Bongo (UOB) de Libreville tentent d’apporter des éclaircissements dans une tribune que nous publions ci-dessous in-extenso.

Contactée par Le Monde Afrique, Marie-Madeleine Mborantsuo se garde bien, pour l’heure, de valider un tel scénario. « En l’état, il n’y a pas d’empêchement définitif ou de vacance du pouvoir. Les institutions fonctionnent normalement et aucune procédure particulière n’a été mise en place pour l’instant », assure la présidente de la Cour constitutionnelle.

Pour le Boniface Roux Boudiala, dans sa démonstration juridique particulièrement documentée, l’enseignant explique par le détail les mécanismes et circonstances qui permettent l’activation des dispositions de l’article 13 de la Constitution du Gabon relatives à la vacance temporaire ou l’empêchement définitif d’exercer la fonction présidentielle. A bien des égards, le cas Ali Bongo Ondimba, pourrait rentrer dans ce cadre s’il n’était pas démontré qu’il est en pleine possession de ses capacités.

« Je me nomme Boniface Roux Boudiala, enseignant à la Faculté de droit de l’Université Omar Bongo, je suis un citoyen gabonais. N’ayant jamais eu l’opportunité de jouir de l’espace d’expression public offert par notre pays, à certains de « ses dignes fils », je profite, en ma modeste qualité de juriste, de la tribune offerte par les réseaux sociaux, pour exprimer une opinion juridique, au regard de la tangente dangereuse, amorcée depuis bientôt deux semaines, par notre pays, le Gabon. Celui qui n’a pas mené l’enquête, n’a nul droit à la parole.

Dans notre cas, l’enquête a bien été conduite dans les facultés de droit, et, la parole ici délivrée, restera strictement encadrée, par les textes en vigueur. Pour asseoir une évidente objectivité dans ces écrits, que j’assume pleinement, je vais donc m’efforcer de les étayer au travers d’une approche volontairement répétitive, d’une dialectique, prenant en compte, non seulement, les outils légaux en vigueur, mais aussi, les vraisemblances factuelles qui, actuellement, défraie la chronique. Cette analyse, insistera sur les aspects objectifs et se caractérisera, par la mise en exergue d’hypothèses, en raison de la pauvreté des informations sur divers points.  Ce qui se susurre ou se formule publiquement, est perçu par certains, comme l’expression d’une attitude normale. Alors que pour d’autres, et surtout sous le prisme de l’implacable la logique, elles relèvent de la fiction, pire, de l’inacceptable.

Des faits, il résulte que, depuis près de deux semaines, le Président Ali Bongo ONDIMBA est invisible. Un nuage de fumé est fermement entretenu, autour de la situation réelle du Président de la République. Quelle version retenir, lorsque l’on constate une discordance de déclarations ? Serait-ce finalement, la suite d’un malaise consécutif, à une « fatigue sévère », suivant la déclaration faite par le Porte-parole de la Présidence de la République, ou plutôt, un accident vasculaire cérébral (AVC), suivant les dires de l’Agence Reuters.

Cette situation alimente aujourd’hui tous les fantasmes. Les opinions divergent au gré des intérêts des uns et des autres, au détriment de ceux la République gabonaise. La première thèse véhiculée, tend à exacerber l’opinion, en diffusant l’idée, qu’il se prépare un passage en force piloté par certains faucons et des proches de l’actuel Président. La deuxième thèse est construite, autour de la revendication d’une certaine victoire, réactualisée ou dépoussiérée, à la faveur d’une circonstance tragique, et que, le moment tant attendu serait arrivé ; laissant entrevoir un tableau funeste, celui des vautours tournoyant autours d’une charogne dans la perspective de faire place nette. La troisième et dernière thèse, celle à laquelle, certains gabonais souscrivent, vise l’idée selon laquelle, si la vacance du pouvoir confirmée, nous avons tous le devoir, de mettre en œuvre le dispositif de l’article 13 de la Constitution de la République gabonaise actuellement en vigueur.

Notons que, les Accords d’Angondjé, ne peuvent se substituer aux dispositions prévues par la Constitution, en raison de ce que, l’essentiel des projets des textes issus de ces Accords ne sont en vigueur car n’ayant pas été promulgués, puis publié dans le journal officiel.

Le rappel de ces trois approches, qui se dégagent de l’opinion du commun des gabonais, devrait plutôt inquiéter les intelligences. Ces diverses supputations sont, pour l’essentiel, le reflet d’un détachement de cette même opinion, à l’égard de la règle de droit. Une telle polyphonie, pour ne pas dire cacophonie, constitue, s’il en était besoin, la preuve que, tous les gabonais ne regardent plus dans la même direction, même lorsque les intérêts de la République l’imposent. Pourtant, le contexte actuel présiderait à ce que toutes les filles et fils du Gabon aient un seul et même pôle de référence : la Loi, donc la Constitution. Dans toute société, où la loi est bafouée, foulée au pied, par les gouvernants eux-mêmes, l’Etat s’efface pour céder le pas à l’anarchie. En effet, l’anarchie se définit juridiquement comme une structure sans État. Dans un tel contexte social, la paix est compromise et ouvre la voie à l’arbitraire. L’interrogation ne consiste pas, à ce stade de la réflexion, de pointer la nature du régime politique démocratique, ou non. L’analyse se cristallise ici, sur la réalité ou la fiction de l’existence de l’Etat gabonais. Notre Gabon, est-il un Etat de droit ou une anarchie ? Si l’on pense que le Gabon est un Etat de droit, digne de connaître, enfin, un essor vers la félicité, que tous ses enfants, sans exclusive, commencent par respecter ses Lois.

La première Loi qui fonde l’existence de l’Etat de droit, c’est sa Constitution. Et, suivant la lettre de l’article 1er de notre Constitution, « la République gabonaise reconnaît et garantit les droits inviolables et imprescriptibles de l’Homme, qui lient obligatoirement les pouvoirs publics ». Dans la liste de ces droits, du même article 1er, il y a notamment : (…) ;

– Alinéa 2°) La liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication, (…), sont garanties à tous, sous réserve du respect de l’ordre public. ;

– Alinéa 21°) Chaque citoyen a le devoir de défendre la patrie et l’obligation de protéger et de respecter la Constitution, les lois et les règlements de la République ;

S’agissant de l’article 13 du titre II de la Constitution, qui traite des prérogatives attachées à l’Institution du Président de la République, il prévoit un dispositif précis, visant à encadrer la transmission du pouvoir politique, en cas de vacance de ce pouvoir présidentiel. Ce texte dispose qu’ « en cas de vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement définitif de son titulaire constaté par la Cour Constitutionnelle saisie par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, ou à défaut, par les bureaux des deux chambres du Parlement statuant ensemble à la majorité de leurs membres, les fonctions du Président de la République, à l’exception de celles prévues aux articles 18, 19 et 116, alinéa 1er, sont provisoirement exercées par le Président du Sénat ou, en cas d’empêchement de celui-ci dûment constaté par la Cour Constitutionnelle saisie dans les mêmes conditions que ci-dessus, par le Premier Vice-président du Sénat.

L’autorité qui assure l’intérim du Président de la République, dans les conditions du présent article, ne peut se porter candidat à l’élection présidentielle.

En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour Constitutionnelle, le scrutin pour l’élection du nouveau président a lieu, sauf cas de force majeure constatée par la Cour Constitutionnelle, trente jours au moins et quarante-cinq jours au plus après l’ouverture de la vacance ou de la déclaration du caractère définitif de l’empêchement ».

omme on peut le constater, il n’y a pas de vide juridique, comme certains s’efforcent insidieusement de le distiller dans l’opinion publique. Il convient simplement, de mettre en œuvre la lettre de la Constitution de la République, comme cela avait été le cas, lors du décès de l’ex Président de la République, Omar Bongo ONDIMBA. Le choix des articles 1er et 13 de la loi fondamentale n’est pas fortuit.

Suivant la lettre de l’article 1er de la Constitution, il faut relever, d’une part, que tout gabonais est libre d’exprimer ses opinions. C’est notamment, à ce titre que nous exerçons notre plume ici. Dans le strict respect de la dignité humaine, cette approche est l’expression de la lecture d’un gabonais, qui ne fait qu’user d’un droit que lui reconnaît la Constitution. D’autre part, et c’est le plus important, le point 21° de l’article 1er de la Loi fondamentale (la Constitution) dispose que, chaque citoyen gabonais « a le devoir de défendre la patrie et l’obligation de protéger et de respecter la Constitution, les lois et les règlements de la République ».

En rédigeant ces lignes, je remplis mon « devoir » en ma qualité de citoyen gabonais, qui consiste à « défendre la patrie et (…) la Constitution (…) de la République ». Ce devoir constitutionnel, concerne toutes les filles et les fils de ce pays. C’est un devoir patriotique. Refuser de se conformer aux dispositions constitutionnelles et de mettre en avant ses intérêts personnels, est un évident déni de l’Etat. C’est poser un acte de haute trahison à l’égard de la République gabonaise. Cette situation concerne tous les acteurs impliqués, à quelque niveau que ce soit, du processus.

Dans tous les cas, suivant la substance de l’article 13 de la Constitution susvisé, la non présence et l’indisponibilité, au Gabon, du Président de la République, pour des raisons de santé, devrait astreindre la Cour Constitutionnelle, après une saisine du gouvernement, à constater la vacance du pouvoir. Mais dans quelles hypothèses, peut-on mettre en œuvre, l’article 13 de la Constitution ? Ce texte n’est applicable qu’en « cas de vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit », ou « d’empêchement définitif. »

Avec Focus News Gabon

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