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Bénin : ce que révèle la disparition des deux touristes français

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Plus que probable, le scénario de l’enlèvement met en évidence la contagion du fléau djihadiste vers l’Afrique de l’Ouest. Inquiétant.

Au fil des heures, l’hypothèse tant redoutée prend corps, et ce qui n’était qu’une crainte devient certitude. Tout porte à croire que les deux touristes français épris de faune sauvage, portés disparus depuis le 1er mai, ont bien été enlevés en lisière du parc de la Pendjari, dans l’extrême-nord du Bénin. Divers éléments factuels tendent à étayer cette hypothèse, à commencer par la découverte, trois jours plus tard, du cadavre de leur guide béninois, un pisteur aguerri prénommé Fiacre, étendu sur la berge de la rivière dont le lit dessine la frontière entre l’ex-Dahomey et le Burkina Faso. Autres indices éloquents : les traces relevées au sol, attestant la traversée par une cohorte en cavale du cours d’eau frontalier, et le 4×4 Toyota de l’équipée, retrouvé vide, côte burkinabé.

9 attaques terroristes et enlèvements sur 10 ne sont pas revendiquées

A l’instant T, nul, à l’exception des éventuels ravisseurs, ne sait où se trouve le duo d’enseignants ainsi escamoté. Encore au Burkina ? Déjà au Mali ? Ou au Niger ? Mystère. La même incertitude flotte sur l’identité des commanditaires et des exécutants du probable kidnapping, d’autant que les neuf dixièmes des attaques terroristes et prises d’otages perpétrées dans l’ancienne Haute-Volta ne sont pas revendiquées.

Reste que les experts imputent la plupart d’entre elles à trois entités djihadistes ou à leur chapitre sahélien : la mouvance Ansar ul-Islam, apparue en décembre 2016 au Mali et au Burkina Faso, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), coalition régentée par le touareg malien Iyad ag-Ghali et affiliée à Al-Qaïda, et l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), surgeon de Daech. Encore faut-il ajouter à ce trio majeur une myriade de factions locales aux contours imprécis et aux allégeances aléatoires, navigant entre djihadisme et banditisme. Une précision : selon le chercheur burkinabé Mahamadou Sawadogo, interrogé ce lundi par RFI, le secteur où gisait le défunt guide passe pour une zone de transit de l’EIGS.

La tumeur du fléau djihadiste a éclos au Mali

Si le scénario de l’enlèvement se voit corroboré dans les prochaines heures, il confirmera l’accélération d’une mutation angoissante : la fragmentation et la dispersion du fléau djihadiste, désormais capable de contaminer des régions tenues jusqu’alors pour épargnées. Un phénomène patent depuis 2015, date à laquelle la digue burkinabé, censée prémunir l’Afrique côtière contre le péril sahélien, s’est fissurée. La tumeur maligne a éclos au Mali en 2012, ses métastases cancéreuses ont gagné ensuite le « pays des Hommes intègres » et prolifèrent dorénavant très au-delà. Selon un rapport publié en mars par l’Institut Thomas-More, des « éclaireurs » du djihad africain ont ainsi procédé dès 2014 et 2015 à des repérages bien loin de leurs bases. Comment s’étonner dès lors qu’à l’été 2018, des cellules armées aient pris pied dans les septentrions béninois et togolais ?

Le terrain est propice. D’une superficie de 4700 kilomètres carrés, le parc de la Pendjari doit son attrait au massif forestier dense que le Bénin partage avec ses voisins burkinabé et nigérien. D’accès difficile, ce paradis des amateurs de safari écolo est aussi celui des trafiquants et des bandits de toutes obédiences. Même si l’ONG sud-africaine African Parks, qui en assure la gestion depuis 2017, a « musclé » le dispositif de surveillance, la topographie interdit la couverture exhaustive d’un tel espace et de ses innombrables sentiers et pistes, notamment en cette période de saison sèche. Depuis peu, le Quai d’Orsay déconseille « formellement » aux citoyens français de s’aventurer au coeur d’un poumon vert qui s’apparente de plus en plus à une zone grise, et ce « compte tenu de la présence de groupes armés terroristes et du risque d’enlèvement. »

Série noire

La stratégie sous-jacente des djihadistes fait écho au mode opératoire appliqué dans l’aire sahélo-saharienne, voire dans l’espace irako-syrien : à défaut d’instaurer le califat fantasmé sur une emprise territoriale homogène, il s’agit d’élargir la sphère d’influence, d’ouvrir une multitude de « micro-fronts » et de s’incruster dans le tissu social, par le jeu du soft power si possible -mariages, adoubement de chefs coutumiers, assistance matérielle-, par la force et la terreur si besoin.

Une série de coups d’éclat récents met en évidence la fragilisation du verrou supposé. A la mi-décembre 2018, on signale la disparition plus que suspecte, dans le nord du Faso, d’un couple italo-canadien. Une semaine plus tard, une embuscade tendue sur l’axe routier reliant Fada N’Gourma à Pama coûte la vie à trois militaires burkinabé. Et ce quelques jours après que le président Roch Marc Christian Kaboré, en visite à l’Elysée, eut souligné l’urgente nécessité d’engager des initiatives volontaristes afin d’enrayer une contagion qui a imposé la fermeture de 600 écoles villageoises.

Une coopération en pointillé

Depuis août 2018 il est vrai, on dénombre une cinquantaine de tués dans les trois régions septentrionales du Nord, de l’Est et du Sahel. Le 15 janvier dernier, le géologue canadien Kirk Woodman est enlevé sur un site aurifère voisin de la frontière nigérienne ; son corps sans vie sera retrouvé le surlendemain. Un mois à peine s’écoule, et voilà que survient l’assassinat, en lisière du Togo, de quatre douaniers burkinabé et d’un prêtre espagnol de retour de Lomé.

Bien sûr, les nations concernées, conscientes de leur vulnérabilité, s’efforcent de coordonner la lutte contre l’hydre islamo-terroriste. Témoin, cette réunion, en octobre 2018, des ministres de la Défense, de la Sécurité et des Affaires étrangères togolais, béninois, burkinabé et ghanéens, ainsi que les opérations contre la criminalité transfrontalière déclenchées en mai et novembre de la même année. Initiatives louables, mais dont la portée opérationnelle demeure embryonnaire. Un signe : en mars dernier, Ouagadougou n’a pu faire mieux que d’alerter ses voisins des risques d’infiltration sur leur territoire d’éléments djihadistes chassés par l’offensive lancée alors contre des maquis opérant sur son flanc Est…

 

Avec l’Express

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