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Papa Demba Thiam : « Pour combattre les systèmes de corruption qui minent l’Afrique »

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ANALYSE. La faiblesse des arsenaux juridiques et l’absence de volonté politique ont conduit beaucoup à se résigner à l’idée qu’on ne peut pas lutter contre la corruption en Afrique. Ceux-ci ont bien tort. Explications.

Beaucoup s’accordent sur le fait que la corruption est l’une des plus grandes causes de la misère des populations africaines. Des déplacements de populations aussi. Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle est aussi un produit de la fabrique de pauvreté institutionnalisée par des bureaucraties dévoyées. Le grand public connaît assez bien la corruption active, mais moins bien une forme plus subtile et plus insidieuse de corruption que constitue la prise illégale d’intérêts. Il faut dire que celle-ci est plus difficile à déceler et ceci explique cela. Une plongée dans le fonctionnement des opérations complexes des bureaucraties de l’aide au développement peut aider à mieux comprendre ce phénomène.

Des éléments constitutifs de la corruption

Pour simplifier, pour être passible de corruption, il ne s’agit pas simplement de toucher du matériel en rémunération d’une violation de règles d’éthique et d’intégrité. Les prises illégales d’intérêts, qui consistent à violer ou à contourner des procédures pour un intérêt direct ou indirect comme un soutien pour une carrière ou à une campagne élective ou nominative, sont aussi des actes qualifiables de corruption. Il en est de même des tentatives d’étouffement d’accusations de corruption, dissimulation et de non-dénonciation d’actes délictueux en raison de la volonté de protéger sa carrière, de favoriser des proches ou pour d’autres raisons voisines.

Des cas de violations délibérées et intéressées de procédures de passation de marchés ont contribué à acquérir du matériel inadéquat impliqué dans des tragédies ayant entraîné des pertes en vies humaines. Il s’agit là d’actes criminels qu’on retrouve aussi dans des institutions tellement accrochées au strict respect des procédures qu’elles permettent de diluer, couvrir ou blanchir la corruption. C’est ainsi que des institutions multilatérales et bilatérales ont financé, administré et supervisé des projets de développement sans que l’on puisse en voir de résultats tangibles sur le terrain. Cela conduit à se demander où sont passées les masses colossales d’argent décaissées dans des projets d’agriculture, de santé, de transport et d’éducation qui auraient dû normalement laisser des traces visibles si elles avaient été conçues et exécutées comme normalement prévues dans les institutions normées où ceux-ci ont franchi toutes les étapes. Autant de raisons de déclencher des enquêtes qui, malheureusement, ne sont jamais mises en œuvre.

Bien plus surprenant encore, certaines de ces institutions font, presque sarcastiquement, des « évaluations internes indépendantes ». Quand l’échec en est trop patent et connu de tous, y compris des « bénéficiaires identifiés », ces « évaluations » concluent alors que certains projets sont « hautement insatisfaisants ». Pour autant, ces échecs dûment constatés, renvoyant pourtant à du gaspillage et/ou de la déperdition de ressources fournies par le dur labeur du contribuable international, donnent très rarement lieu à des enquêtes sur l’éventualité de détournements d’objectifs, de deniers publics, de violation de règles et procédures de passation de marchés pour l’acquisition de biens et services.

De l’impunité permanente des institutions multilatérales

C’est ainsi que dans mon parcours, j’ai eu à être au courant de visu de ce cas d’un projet financé pendant plusieurs années, à coup de plusieurs centaines de millions de dollars américains par une institution financière multilatérale. Celle-ci a récemment conclu au caractère « hautement insatisfaisant » du projet dans son rapport d’achèvement. Le plus cocasse, c’est que c’est cette institution même qui a mené l’identification du projet, sa préparation, son développement, sa négociation, son approbation, sa supervision selon ses propres règles et procédures. Elle a ainsi autorisé et ordonné les décaissements au titre de ce projet sur la base de documents usuels jugés « conformes, satisfaisants et acceptables ». Pourtant, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ce n’est pas l’institution qui a été sanctionnée, mais plutôt le pays bénéficiaire au motif d’une « mauvaise gestion du projet ». Résultat : d’autres financements peuvent lui être refusés alors même que le principal responsable sectoriel en poste au moment de la supervision et de l’exécution de ce projet était devenu premier responsable des opérations de cette institution financière pour ce même pays. C’est donc ce haut fonctionnaire largement impliqué dans la faillite de ce projet qui a été chargé de la réprimande à l’endroit des dirigeants du pays « bénéficiaire ».

Lanceur d’alerte : une audace à haut risque

Dans le cas cité en exemple, un lanceur d’alerte avait bien saisi ses responsables hiérarchiques tout autant que les gardiens de l’éthique et de l’intégrité dans l’institution. Loin de prêter l’oreille à sa vigilance, ceux-ci ont plutôt tenté de les réduire au silence en émettant des accusations fallacieuses qui n’ont pas résisté à la défense développée par le lanceur d’alerte. Celui-ci, constatant que sa demande d’une enquête indépendante auprès des plus hautes autorités n’aboutissait pas et qu’en plus, aucune sanction n’avait été prise contre les fonctionnaires en cause, a préféré quitter l’institution pour éviter que lui soit « fabriquée » une autre affaire et le discréditer à tout jamais. Précision de taille : une « médiation » lui a été proposée pour acheter son silence, ce qu’il a naturellement refusé préférant s’en tenir à la possibilité qu’il avait de prendre prématurément sa retraite de l’institution. Ironie de l’histoire : il a pu partir avec des documents compromettants pour l’institution qui étaient tombés par erreur dans sa boîte mail et que le système interne de justice de l’institution avait « certifiés authentiques ». Pour se tenir les uns, les autres et couvrir les attitudes inappropriées, acteurs, témoins et manageurs impliqués ont été promus et affectés à des postes où ils étaient eux-mêmes responsables des enquêtes sur des allégations de corruption et de prises illégales d’intérêts. Une illustration de la perversion totale, mais consciente de la gouvernance d’une institution qui ne se gêne pas pour faire la leçon aux Africains !

Un système dévoyé de l’intérieur…

Comment cela est-il possible dans une institution qui se veut un fer de lance de la lutte contre la corruption ? La question mérite d’être posée. Un début de réponse réside dans le fait que des manageurs ont eu le temps et la possibilité de placer leurs gens à des postes stratégiques, ce qui leur a permis de verrouiller le système et de prévenir toute enquête sérieuse contre eux. Détenant des leviers-clés dans la chaîne des enquêtes sur les violations des règles d’éthique et d’intégrité, ils peuvent ainsi mettre le système sous tutelle, le dévoyer et, en un mot, le corrompre. C’est là une première explication.

Source : Le Point Afrique

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