Accueil ACTUALITES Choix économiques : les leçons de Mays Mouissi à Rose Christiane Ossouka

Choix économiques : les leçons de Mays Mouissi à Rose Christiane Ossouka

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Madame Le Premier ministre,

Le 7 septembre 2020, à l’occasion d’une interview accordée à un journaliste de la chaîne de TV5 Monde qui vous demandait précisément si vous maintiendrez une politique basée sur le recours massif à l’emprunt comme votre prédécesseur, à défaut de répondre sur le fond de la question, vous avez choisi de répondre en m’invitant à vous dire « quelle est l’économie du monde qui n’a pas développé son pays en s’endettant ». Ayant été interpellé publiquement, vous ne vous offusquerez pas que ma réponse à votre endroit le soit aussi.

Avant de répondre sur le fond à votre interrogation, permettez-moi, Madame, de vous rappeler ce que je reproche aux politiques d’endettement des précédents gouvernements auxquels vous avez appartenu et dont vous êtes comptable. Nul ne peut affirmer que le recours à l’emprunt par un État pour financer ses projets de développement est une mauvaise chose. Bien au contraire. Si vous preniez le temps d’écouter les réprobations de nos compatriotes, vous sauriez que ce n’est pas cela qui est reproché à l’exécutif. Ce que je reproche aux gouvernements successifs c’est :

1- d’avoir augmenté l’encours de dette de notre pays de 276% entre 2009 et 2019[1] pour des résultats plutôt médiocres sur le plan économique et social ;

2- de recourir à de nouveaux emprunts pour rembourser des dettes antérieures[2] dans le cadre d’opérations de refinancement de plus en plus chères[3] pour le contribuable ;

3- de choisir de s’endetter pour couvrir des dépenses extrêmement faibles qui auraient pu être prises en charge sur ressources propres comme ce fut le cas le 12 juin 2020 quand en Conseil des ministres vous avez autorisé un emprunt 5,4 milliards FCFA auprès de la BIRD pour l’achat de gants et de masques.

Madame Le Premier ministre,

Les progrès d’un pays en matière de développement se mesurent à partir de deux types d’indicateurs : des indicateurs économiques notamment le taux de croissance du PIB[4] et des indicateurs sociaux comme le taux de chômage, le niveau de pauvreté, l’indice de développement humain (IDH), etc.

Existe-t-il des pays qui sont parvenus à accroître leur richesse nationale tout en réduisant leur niveau d’endettement ? Oui Madame, ça existe et c’est même assez fréquent. Entre 2009 et 2019 près d’une quarantaine de pays de notre planète l’ont fait, parmi eux, on trouve de nombreux pays africains. Par souci de concision, je me limite à vous en lister 10 ci-dessous. Je viens ainsi de vous démontrer qu’il est possible d’obtenir de la croissance économique et par conséquent développer son pays sans exploser la dette publique et les ratios d’endettement. Peut-être devriez-vous vous en inspirer.

Liste non exhaustive de pays ayant réduit leur endettement tout en maintenant une croissance positive[5]

Madame Le Premier ministre,

Vous soutenez que l’objectif de l’endettement massif qu’on observe est de développer notre pays et créer de l’emploi. On aurait pu vous croire si les principaux indicateurs sociaux produits par les différentes organisations internationales ne montraient pas que ce qui a été le mieux développé au Gabon depuis 2009 c’est la pauvreté et la précarité :

– Chômage 

Estimé à 20% en 2009, le taux de chômage dans notre pays est resté bloqué à 20%[6] en 2019. 10 années et 4000 milliards FCFA de dettes supplémentaires n’ont pas permis aux différents gouvernements où vous avez siégé de réduire le chômage. Les Gabonais se souviennent pourtant que le 11 février 2016, lors d’un discours solennel prononcé à la ZES de Nkok, le Président Ali Bongo Ondimba leur a promis de créer de 20 000 emplois par an. Le 31 décembre 2017, il est revenu dans un discours à la nation pour cette fois-ci promettre la création de 10 000 emplois par an. Les gouvernements précédents n’ayant réussi à réaliser ni l’une ni l’autre de ces promesses, il vous a confié le 17 août 2020 la tâche de créer 30 000 emplois. Je vous souhaite bonne chance.

 – Pauvreté

L’enquête du cabinet Mc Kinsey & Company a estimé le taux de pauvreté dans notre pays à 30% en 2013. La plus récente enquête de la Banque mondiale sur la pauvreté au Gabon publiée il y a quelques jours conclut à un taux de pauvreté de 33,4% en 2017. Entre 2013 et 2017, l’encours de dette publique avait pourtant déjà progressé de 2 525 milliards FCFA[7]. Par charité chrétienne, je m’abstiendrais de parler l’habitat précaire dans lequel vivent nombre de nos compatriotes qui ont vu passer des annonces d’emprunts destinées à construire tantôt 5 000 logements par an, tantôt 10 000.

– L’indice de développement humain (IDH)

Classé 112e à l’IDH en 2013, notre pays occupait désormais la 115e en 2018[8].

Madame, un tel résultat obtenu après avoir endetté les générations futures de plusieurs milliers de milliards de francs CFA vous parait-il honorable pour notre pays ?

Madame Le Premier ministre,

Pour donner à l’opinion l’illusion d’une parfaite maîtrise de l’endettement par votre gouvernement, vous soutenez, comme vos prédécesseurs, que s’il y avait péril en la demeure les bailleurs de fonds ne vous prêteraient pas d’argent. Vous avez résumé cela par une formule qu’on entend plus souvent dans les discussions de troquets que dans des propos tenus par un Premier ministre sur des plateaux télé : « on ne prête qu’aux riches ».

Vous qui étiez major de votre promotion à l’Institut de l’Économie et des Finances (IEF) et ministre du Budget de notre pays, vous ne pouvez pas ignorer qu’au plus fort de la faillite de l’Argentine en 2001 et de la Grèce en 2012, il s’est toujours trouvé des créanciers pour prêter de l’argent à ces États.

Cette situation rappelle d’ailleurs un principe élémentaire de la finance connu sous le nom de corrélation risque/rentabilité dont je me permets de vous rappeler le fonctionnement. Plus un actif présente des risques, plus fort sera le rendement exigé par un investisseur. C’est en raison de cette corrélation que l’eurobond de 1 milliard USD (environ 600 milliards FCFA) souscrit par le Gabon au mois de février dernier a couté à notre pays 28 points de base plus chers que l’eurobond précédent auquel il s’est substitué. C’est aussi cette corrélation qui rend le modèle économique des fonds spéculatifs appelés fonds vautours si rentable.

Par ailleurs, vous avez affirmé que les emprunts d’État permettent de donner une bouffer d’oxygène aux entreprises. Vous vous trompez, Madame. Si l’endettement de l’État permettait aux entreprises de mieux se porter, notre secteur privé ne serait pas sinistré comme il l’est actuellement. Parce que je veux croire en votre bonne foi, permettez-moi cette suggestion : si vous voulez vraiment donner une bouffer d’oxygène à nos entreprises, soldez la dette intérieure dans les plus brefs délais. Quand vous l’aurez fait, vous observerez que nos entreprises vont recommencer à créer des emplois et par effet d’entrainement recréer un cycle économique vertueux.

Madame Le Premier ministre,

Sur la dette comme sur bien d’autres sujets, vos prédécesseurs ont échoué. Par amour de mon pays, je vous souhaite de réaliser toutes les promesses que vous avez faites aux Gabonais lors de votre déclaration de politique générale. Cependant, mon inclination naturelle au réalisme me fait vous dire que :

  • Vous n’aurez pas achevé les 828 kilomètres de la route Transgabonaise en 2023 comme vous y êtes engagée, même en comptant les tronçons de routes déjà construites depuis bien des années. Cet engagement que vous avez pris, on le sait à l’initiative d’autres personnes, est totalement déconnecté de la réalité de notre pays.
  • Vous ne créerez pas non plus 30 000 emplois dans les 3 prochaines années. Comme vous le savez certainement, les créations d’emplois résultent de la croissance. En 2013, lorsque le taux de croissance de notre économique approchait 5%, seuls 3 375 emplois nets ont été créés dans le secteur privé formel. Par quel miracle économique parviendrez-vous à créer 10 fois plus d’emplois dans les 3 années à venir avec des niveaux de croissance annoncés plus faibles ?
  • Les partenariats publics privés (PPP) avec des entreprises étrangères participeront certainement à la relance, mais ne permettront pas de relancer durablement notre économie. Puisque vous dîtes avoir les coudées franches, contrairement au défunt Premier ministre Léon Mébiame, profitez-en pour faire de choses positives pour notre pays. Faites confiance aux entreprises gabonaises. Faites confiance aux G Soutenez-les. Ce sont les Gabonais et les entreprises gabonaises qui un jour développeront le Gabon.
  • La dette publique de notre pays est une bombe à retardement. Au niveau où elle se situe, à chaque fois qu’elle augmente, elle limite dangereusement les capacités d’intervention de l’État. Au moment où même le Fonds Monétaire International (FMI) s’inquiète de la progression de notre dette publique, vous devriez faire de notre désendettement une absolue priorité.

Sur ces mots, je vous donne rendez-vous dans un an, si vous êtes encore en poste à la primature, pour un premier bilan de votre action que je ne manquerai pas de vous faire parvenir.

Bien cordialement,

[1] L’encours de la dette publique du Gabon est passé de 1 368 milliards FCFA en 2009 à 5 142 milliards FCFA en 2019.

[2] En janvier 2020, le gouvernement a souscrit un eurobond de 1 milliard de dollars US (près de 600 milliards FCFA). Le produit de cet emprunt avait pour principal objectif de financer le remboursement d’un eurobond de 2013 dont l’échéance était fixée initialement à 2024.

[3] En souscrivant l’eurobond de janvier 2020, le gouvernement a remplacé une dette placée à 6,375% échéance 2024 par une nouvelle dette plus chère et plus longue placée à 6,625% échéance 2030 avec un spread de coupon défavorable de 28 points de base.

[4] Le taux de croissance du PIB mesure l’évolution positive ou négative de la création de richesse dans un pays au cours d’une année.

[5] Source de données : Database du FMI

[6] Estimation modélisée de l’Organisation internationale du Travail (OIT)

[7] Calcul réalisé à partir des données publiées par la Direction Générale de l’Économie et de la Politique Fiscale

[8] Voir la mise à jour 2018 des Indices et indicateurs de développement humain du PNUD.

 

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