Au lendemain de l’assassinat de Chris Msando, haut responsable de la Commission électorale, le pays replonge vers de nouvelles violences électorales.
Avec le Point Afrique
C’est un assassinat qui en dit long sur le climat politique qui domine au Kenya à une semaine des élections générales. Alors que les électeurs kényans sont appelés à choisir leurs futurs président et députés, ces violences politiques plongent le pays dans la peur bien sûr, mais surtout elles interrogent. Ce n’est pas un assassinat de plus, mais bien un électrochoc qui intervient dans un contexte d’élections troubles sur le continent. Après la crise post-électorale de 2007 qui avait dégénéré en violences politico-ethniques ayant fait plus de 1 100 morts, les élections de 2013 n’avaient rien dissipé. Mais pouvait-on s’attendre à de tels événements dans ce pays d’Afrique de l’Est, loué par les institutions financières internationales pour ses performances économiques (5,4 et 5,9 % de croissance depuis 2013) ? Que se passe-t-il alors que Chris Msando, rouage essentiel dans le processus électoral pour éviter un éventuel trucage du scrutin à venir, vient d’être assassiné ? Et que dire puisque cet homicide intervient quelques jours après l’attaque du domicile du vice-président de la République, William Ruto ? Une chose est sûre, au lendemain il est, d’ores et déjà, possible de mesurer les conséquences de cet assassinat. Et l’une de ces premières conséquences pourrait être le non-respect du résultat des urnes.
L’assassinat de Chris Msando, « un électrochoc »
« C’est une source de très, très profonde inquiétude et nous voulons dire à la Commission électorale kényane (IEBC) qu’il y a beaucoup de gens qui sont préoccupés par ce meurtre », a déclaré George Kegoro, le directeur de la Commission kényane des droits de l’homme, qui a mené la marche vers les locaux de la Commission. Le corps de Chris Msando, responsable chargé de superviser le système informatique de la Commission électorale kényane a été retrouvé samedi avec des marques de torture au cours du week-end, en bordure d’une forêt dans les environs de la capitale.
Msando avait disparu au cours du week-end. L’IEBC avait d’abord fait savoir qu’il avait été aperçu pour la dernière fois vendredi soir et avait envoyé samedi matin un SMS à un collègue suggérant « qu’il était conscient et parfaitement informé de son itinéraire du jour ». Un employé de la morgue a expliqué que son corps avait été amené le 29 juillet par la police, en compagnie de celui d’une femme. Les deux corps, qui étaient nus et portaient des traces de torture, avaient été jetés dans une forêt à Kiambu, en dehors de Nairobi. Les raisons pour lesquelles il a fallu presque 48 heures pour identifier le corps de M. Msando ne sont pas claires.
« Le Kenya a une malheureuse histoire d’assassinats par opportunisme politique et il y a une effrayante similarité dans la séquence d’événements (entourant la mort de Chris Msando, NDLR) qui laisse le sentiment que nous avons déjà vu ça auparavant », a-t-il ajouté. Msando était chargé de superviser le système électronique d’identification des électeurs et de comptage des voix, considéré comme essentiel pour éviter un éventuel trucage du scrutin. Son assassinat a entraîné des condamnations unanimes de la part des défenseurs des droits de l’homme et dans la communauté internationale. Mais surtout, les Kényans, l’opposition politique, et l’opinion publique sont sous le choc et pointent du doigt la responsabilité des autorités.
Qui a tué Chris Msando ? Quels seraient les motifs de cet homicide à une semaine des élections ? L’enquête ne fait que démarrer. Dans un communiqué conjoint, les ambassadeurs des États-Unis et de la Grande-Bretagne se sont dits « gravement préoccupés » et ont offert l’aide de leurs pays pour mener l’enquête.
… alors que se préparait un test grandeur nature sur le système électronique
La semaine dernière, Chris Msando était apparu à la télévision pour rassurer sur la fiabilité du système électronique. Celui-ci avait failli lors de l’élection de 2013, ce qui avait poussé l’opposition à contester devant la Cour suprême, en vain, la victoire dès le premier tour d’Uhuru Kenyatta à la présidentielle. Le président de l’IEBC, Wafula Chebukati, a demandé mardi que la sécurité des membres de la Commission soit assurée, mais a aussi relativisé la possibilité que des informations sensibles liées à l’élection aient été obtenues de Msando. « Qui que ce soit qui l’ait torturé, je ne pense pas qu’il ait obtenu quelque chose », a-t-il déclaré à la presse. « Nos serveurs, réseaux et systèmes sont sécurisés. Nous avons des fournisseurs de services et comme prévu le jour de l’élection, nous allons fournir les résultats », a déclaré Chebukati.
Resté silencieux depuis l’identification du corps de M. Msando lundi, le gouvernement a réagi tardivement mardi après-midi. Le président Kenyatta s’est déclaré « profondément choqué et attristé » par ce meurtre.
L’opposition, qui n’a cessé tout au long de la campagne de mettre en garde contre de possibles fraudes, a réclamé mardi que l’IEBC fasse appel à un expert étranger du Commonwealth ou de l’ONU, pour garantir la fiabilité du système électronique. L’IEBC est en charge de l’organisation des élections du 8 août, où les Kényans sont appelés à désigner leurs président, gouverneurs, députés, sénateurs, élus locaux et représentantes des femmes à l’Assemblée. Après une campagne acrimonieuse, l’élection présidentielle s’annonce serrée entre le sortant Uhuru Kenyatta et son rival Raila Odinga.
Tous les regards sont tournés vers ce système électronique, qui avait failli lors de l’élection de 2013, ce qui avait poussé l’opposition à contester devant la Cour suprême, en vain, la victoire dès le premier tour d’Uhuru Kenyatta. Le test qui devait avoir lieu ces derniers jours est tout simplement annulé.
Et l’attaque de la maison du vice-président William Ruto
Une attaque grave et énigmatique. Aucun élément ne permet pour l’instant de déterminer les responsables ni les raisons de l’attaque violente qui a été menée contre le domicile du vice-président kényan William Rutopar des hommes armés samedi dans la région d’Eldoret (nord-ouest du Kenya). Le numéro deux kényan Ruto et sa famille ne se trouvaient pas chez eux au moment de l’attaque, lors de laquelle au moins un homme a été grièvement blessé par balle, à savoir un policier d’élite chargé de la sécurité.
« Des hommes armés ont lancé une attaque, tiré sur un policier et volé son arme », a déclaré à l’AFP un responsable de la sécurité souhaitant garder l’anonymat. Des forces de sécurité « importantes » ont été déployées et ont pénétré dans l’immense propriété, qui compte plusieurs bâtiments. William Ruto avait quitté sa maison peu de temps avant l’attaque, qui a débuté en fin de matinée, afin de se rendre à un meeting politique, selon des sources concordantes. La vallée du Rift, dans laquelle se trouve la région d’Eldoret, avait été le foyer des affrontements les plus violents entre les deux principales ethnies de la région, les Kikuyus, dont est issu le président Kenyatta, et les Kalenjin, dont est issu William Ruto.
Le Kenya dans toute sa fragilité
Les deux hommes, un temps poursuivis par la Cour pénale internationale pour ces violences, s’étaient ensuite alliés et avaient été élus à la présidentielle de 2013. Ils briguent un second mandat face au candidat de l’opposition, Raila Odinga, et son colistier, Kalonzo Musyoka. Le scrutin s’annonce serré, selon les récents sondages d’opinion. Raila Odinga, qui estime que la victoire lui a été volée en 2007 et 2013, accuse l’exécutif actuel de vouloir truquer les élections, alors que M. Kenyatta accuse son rival de vouloir les retarder.
Nombre de Kényans retiennent dès lors leur souffle alors que ces accusations croisées suscitent l’inquiétude de nombreux observateurs, qui craignent qu’elles ne débouchent sur de nouveaux troubles.