La multiplication des Task forces dans l’administration publique gabonaise depuis un certain temps (lutte contre le braconnage, éducation, santé, artisanat, dette intérieure, égalité homme-femme, etc…) renvoie, dans le domaine où de telles forces sont créées, au constat de dysfonctionnements graves qui justifient la formation de groupes spécifiques de professionnels qualifiés auxquels mandat est donné pour remédier aux problèmes identifiés.
Comme chacun le sait, ce mode opératoire adoptée pendant la seconde guerre mondiale par les militaires a tellement donné satisfaction aux états-majors militaires et politiques qu’il a été repris dans la vie civile pour faire face à différents types de problèmes.
Besoin réel de surmonter des difficultés circonstancielles ou plutôt phénomène de mode qui prend le relais de la création des agences ; dans notre pays la mise en place de telles équipes de choc semble découler du constat d’incapacité et même d’incompétence des administrations en place normalement chargées des questions concernées à leur trouver des solutions satisfaisantes pérennes.
Le recours aux Task forces constitue de ce fait au moins un quadruple aveu :
- En premier lieu, la mise en place d’une telle équipe est un aveu de l’inefficacité du service, de la direction ou du ministère officiellement en charge du sujet sur lequel planche la Task force ainsi constituée ;
- C’est ensuite un aveu de l’inutilité et de l’inefficacité des différentes inspections qui semblent être des ornements dans les ministères puisqu’incapables de relever à temps ou d’obtenir des corrections des anomalies qui apparaissent et s’installent dans les services placés sous leurs contrôles.
- La solution d’une Task force est par ailleurs un aveu de la mainmise politique sur l’administration et en l’occurrence du poids politique du responsable du service, de la direction ou du ministère que le gouvernement ne se sent pas en mesure de relever de ses fonctions en dépit de ses mauvais résultats ;
- C’est enfin un aveu du choix d’une déresponsabilisation de l’administration compétente concernée au profit de services extérieurs.
Ce choix de management suscite d’innombrables questions.
S’il ne fait pas de doute que les problèmes confiés aux Task forces au Gabon sont réels, on est en droit de se demander pourquoi ces questions ne font pas explicitement l’objet de lettres de missions aux administrations qui en ont structurellement et organiquement la charge ?
Pourquoi des ressources humaines ne sont pas mobilisées dans ces administrations et des renforts pris dans les universités du pays pour analyser et proposer des solutions aux problèmes identifiés ?
Le gouvernement dispose de l’administration pour conduire son action. C’est ce que stipule l’article 29 de la Constitution. Les ministres proposent régulièrement des modifications structurelles de leurs organigrammes. Pourquoi ne peuvent-ils pas restructurer leurs services pour former de telles équipes à partir de leurs effectifs ou, en tant que de besoin, à partir des compétences disponibles dans d’autres administrations ?
Comment comprendre que le gouvernement, qui dispose du pouvoir de nomination et de celui de révocation, se trouve dans l’incapacité de remplacer des agents commis à des tâches dont les résultats sont manifestement non satisfaisants ? Comment expliquer qu’il soit réduit à recourir à des services extérieurs qui d’ailleurs, curieusement, s’appuient entièrement sur l’administration incriminée pour produire leurs rapports ?
Comment l’expliquer autrement que par le poids politique des fonctionnaires qui occupent ces postes et qui sont manifestement plus lourds et plus puissants que leurs ministres et sont logés dans une espèce de caste des intouchables ?
Qui sont d’ailleurs ces experts appelés en renfort et de quels moyens humains, politiques et financiers disposent-ils pour conduire les investigations qui leur permettent de poser leur diagnostic ? Quelles compétences pointilleuses pour ne pas dire particulières ont les membres de ces Task forces et qui ne se trouvent pas dans l’administration publique ordinaire ?
Comment sont sélectionnés ces experts et ces sociétés de conseil, sur appel d’offres ou de gré à gré ? Quels sont d’ailleurs les termes et les niveaux de leurs rémunérations ? Être recruté pour faire la lumière sur des pans d’activités jugés nébuleux et inefficaces n’exige-t-il pas d’être soi-même transparent ?
Quelles possibilités donne-t-on à la diaspora, dont une partie s’illustre ici et là par la qualité de son expertise, de s’impliquer dans de telles démarches et probablement à moindre coût ?
Autant de questions et bien d’autres encore qui ne trouvent pas de réponse. Entretemps, on constate abasourdi, le recours accru au mode de sélection et de nomination à des postes qui repose exclusivement sur la confiance autrement dit sur le militantisme politique et non sur la compétence et encore moins sur l’expérience. Au nom de cette confiance, on fait sauter les critères d’ancienneté dans le grade dont l’objet était de garantir une bonne maitrise et une mémoire suffisante des dossiers. On recrute hors de l’administration des personnes qui viennent en prendre la tête sans que les promus ne se prévalent d’une compétence autre que la confiance.
Partout dans le monde, on voit pourtant que les grandes organisations internationales ont mis en place des appels à candidature qui permettent une sélection rigoureuse et objective des ressources humaines. Mais de telles pratiques ne nous inspirent toujours pas.
Au fait, quels résultats concrets a donné l’une des plus célèbres Task forces jamais constituées dans notre pays dans la dernière décennie et conduite par McKinsey sur l’éducation et sur la pauvreté en dehors de la facture que le trésor public a bien sentie. Les choses vont-elles mieux dans ces domaines ? L’orientation des jeunes en milieu de scolarité dans le premier cycle a-t-elle désormais lieu et les flux dans les lycées et les universités ont-ils commencé à changer de nature ; vont-ils désormais dans le sens du marché du travail ? Et qu’en est-il de la pauvreté : le fossé entre les extrêmes s’est-il rétréci ?
Et si le problème était ailleurs !!!
Alors les Task forces, oui pourquoi pas mais à quoi servent-elles si les règles basiques de gestion des ressources humaines dans un pays qui en regorge assurément ne sont pas respectées ?
Raymond Ndong Sima