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Covid-19 : confiner l’Afrique, mission impossible

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Sur un continent où le secteur informel domine, le confinement intégral aurait des conséquences économiques, politiques et sociales fâcheuses.

Confiner plus de 20 millions d’habitants, tel est l’objectif des autorités nigérianes pour les deux prochaines semaines. Dimanche soir, le président Muhammadu Buhari a en effet déclaré le confinement total d’Abuja, la capitale fédérale, et de Lagos, la plus grande ville du pays. « Tous les habitants de ces États doivent rester à la maison. Les voyages dans d’autres États doivent être annulés. Tous les magasins dans ces deux villes doivent être fermés », a ordonné le président. Si « les commerces alimentaires, les stations d’essence, les compagnies de distribution d’électricité et les compagnies de sécurité » sont exemptés, leur « accès sera très restreint et surveillé », a-t-il prévenu. « Nous savons que ces mesures vont causer beaucoup de difficultés […], mais c’est une question de vie ou de mort. » Dimanche soir, le nombre de cas confirmés au Covid-19 s’élevait à 97. Mais ce nombre pourrait « exploser » avec les tests de dépistage programmés cette semaine, avait fait savoir le ministre de l’Information, Lai Mohammed, jeudi.

La réalité de l’informel…

La menace d’une propagation du coronavirus est bien réelle au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique. Mais le confinement de la population, réponse privilégiée dans de nombreux pays du monde, est-il adapté à l’Afrique ? Car, sur le continent, où la majorité de la population vit avec moins de deux dollars par jour, le poids de l’économie informelle est considérable. En 2018, le secteur employait 85,8 % des emplois, d’après une étude de l’Organisation internationale du travail (OIT). Dans ce contexte, difficile donc de demander aux Africains de rester chez eux. Les autorités de la République démocratique du Congo (RDC) ont été, malgré elles, soumises à la réalité du terrain. Mercredi soir, le président Félix Tshisekedi a annoncé le « confinement total intermittent » de la capitale Kinshasa. Celui-ci a été programmé pour démarrer le samedi suivant et durer quatre jours, avant de s’interrompre deux jours et de reprendre, et ce, pendant trois semaines. Objectif : permettre aux habitants de s’approvisionner dans l’intervalle.

… pèse lourdement sur l’approche du confinement par les populations

Les réactions des Kinois aux annonces du chef de l’État ont été immédiates. La population s’est ruée sur les marchés. Sur Twitter, le mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha) a fait part de son inquiétude : « Le seul résultat auquel cela peut aboutir est une catastrophe humanitaire ou des émeutes » dans une mégalopole où l’eau courante et l’électricité manquent. Vendredi, le gouvernement a pris conscience de la situation et a rétropédalé. Résultat : annulation de la mesure.

« À Kinshasa, 90 % de la population vit grâce au secteur informel », explique sur la chaîne belge RTBF Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11, le Centre national de coopération au développement. « Ça veut dire que la toute grande majorité des habitants n’a pas d’emploi formel avec un salaire qui tombe chaque mois pour pouvoir s’alimenter. Donc, chaque jour, 90 % de la population kinoise doit sortir dans la rue pour nourrir sa famille le soir. »

Ce qui est vrai pour la RD est vrai ailleurs

Un tissu économique et social que l’on retrouve dans une majorité des mégalopoles du continent. Et qui explique que seules les économies les plus riches du continent ont pris des mesures de confinement total, à l’image du Rwanda, de la Tunisie, de Maurice, du Maroc et de l’Afrique du Sud. Et, même là, l’application de la mesure reste difficile. Si les banlieues cossues des deux principales villes d’Afrique du Sud, Johannesburg et Le Cap, sont restées largement vides, leurs townships pauvres et surpeuplés ont largement ignoré les consignes, se ruant dans les supermarchés, ont constaté des journalistes de l’AFP. Dans le quartier déshérité de Hillbrow, par exemple, au centre de Johannesburg, la police a dispersé plus d’une centaine de personnes qui piétinaient devant un magasin.

Des solutions variées pour s’adapter aux contextes locaux

Pour éviter ces scènes, propices à la propagation du Covid-19, le président béninois Patrice Talon a renoncé à confiner les habitants. « Les pays riches débloquent des sommes faramineuses et certains ont même recours à des solutions monétaires à peine déguisées, voire la planche à billets pour prévenir le chaos socio-économique inévitable autrement », a-t-il déclaré dimanche matin dans une allocution télévisée. Le Bénin « n’a pas les moyens […] d’accompagner les réductions de mobilité ou les confinements ». « Si nous prenons des mesures qui affament tout le monde, elles finiront très vite par être bravées et bafouées », a-t-il ajouté.

Au confinement choisi par le voisin nigérian, le chef d’État béninois a donc préféré un « cordon sanitaire » autour de huit grandes zones urbaines et de la capitale Cotonou. Depuis le 22 et le 23 mars, les établissements scolaires et les lieux de culte sont fermés – après une manifestation des étudiants de l’université d’Abomey-Calavi qui réclamaient la fermeture de leur établissement – et les transports en commun, suspendus à partir du 30 mars. Des mesures moins restrictives, mais plus adaptées à la situation. Pour le cabinet de conseil économique international NKC African Economics, « l’impossibilité d’imposer des quarantaines totales dans les bidonvilles ou dans les quartiers défavorisés signifie que cela ne sera pas une option en Afrique ». « Une mauvaise gestion de la situation pourrait entraîner un coût en vies humaines bien plus important que les pertes économiques », prévient même l’étude publiée cette semaine.

Pour épargner les habitants d’un confinement aux conséquences dramatiques, plusieurs pays africains se sont donc tournés vers d’autres solutions. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou encore le Kenya lui ont préféré le couvre-feu, sorte de confinement partiel, en complément de mesures de distanciation sociale. D’autres ont décrété une mise en quarantaine de grandes villes, bombes à retardement des épidémies. Au Burkina Faso, durant deux semaines, personne ne rentre ni ne sort de la capitale Ouagadougou. Même situation à Abidjan où les déplacements vers le reste du pays sont désormais interdits, sauf dérogations. Si l’Afrique ne peut se payer « le luxe » de confiner sa population, d’autres solutions sont donc possibles. Celle du dépistage massif, à l’instar de la Corée du Sud, en est une autre. Reste à savoir si le continent pourra accéder à suffisamment de matériel pour y procéder.

Analyse du Point Afrique

 

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