La culture est le moteur sinon le cœur de tout développement économique. L’industrie culturelle et créative est le secteur de l’économie mondiale qui connaît la croissance la plus rapide, estimée à 7 % par an. Malgré son puissant rôle symbolique dans la construction des imaginaires, en Afrique, la Culture demeure une simple pâture dans la Nature. La filière des industries culturelles, est encore immature et ce billet en présente les causes mais aussi quelques solutions.
D’emblée et pour limiter toute asymétrie d’information dans notre analyse, il nous parait important d’indiquer quelques considérations préliminaires. Il est généralement admis qu’il y a industrie culturelle lorsque « les biens et services culturels sont produits, reproduits, stockés ou diffusés selon des critères industriels et commerciaux : c’est-à-dire une production en grande série et une stratégie de type économique prioritaire sur toute visée de développement culturel » (Unesco, 1982). Cependant, signalons que c’est la présence du capital, de la mécanisation et de la division du travail, et non les intentions des auteurs, qui détermine le caractère industriel ou non d’une production. Ainsi, l’industrialisation de la culture africaine, dont nous traitons, renvoie essentiellement à deux formes de distribution : la reproduction sur copie individualisée et la diffusion, sur des réseaux appropriés, d’une seule copie captée par des milliers de récepteurs.
Le discours contemporain sur les industries culturelles est bien optimiste. Alors que certains n’y voient qu’un magma déstructuré et diffus au sein duquel il semble difficile de se repérer, d’autres y perçoivent le gisement d’un énorme potentiel économique qui demeure largement sous-exploité. Ce dernier cas nous renvoie à la situation de la culture en Afrique, qui n’est point au cœur du développement mais au cœur du fleuve Léthé[1]. Le moteur de la culture en Afrique subsaharienne est en panne et dysfonctionne. Et nécessite par conséquent des « réparations » pour assumer pleinement son rôle de catalyseur de l’économie régionale. Tous s’accordent sur la nécessité voire l’urgence de mieux structurer et règlementer le secteur des arts et de la culture afin qu’on puisse véritablement parler d’industrialisation de la culture africaine.
Le principal dénominateur commun à la plupart des pays ACP[2], c’est la faiblesse des politiques pour l’économie de la culture. Il y a entre autres problèmes :
Le faible accompagnement et soutien aux entreprises culturelles
C’est ce que soulignait Moelle Kombi, ministre camerounais des Arts et de la Culture : « Ces structures sont confrontées à des problèmes juridiques, de structuration organique et fonctionnelle et de financement ».
L’insuffisance de cadres et experts formés aux métiers des industries culturelles et créatives
En effet, le manque de formation des entrepreneurs culturels et la nature souvent informelle des méthodes de gestion constituent des contraintes techniques et culturelles qui empêchent l’élaboration avec une capacité suffisante de stratégies à moyen et long terme pour intégrer les logiques du marché local, sous-régional et international. Telle est la tâche à laquelle l’Organisation Internationale de la Francophonie s’attèle aujourd’hui à travers son opérateur direct au service du développement africain : l’Université Senghor d’Alexandrie. On y forme des cadres en matière d’entreprenariat culturel dans son Département de la culture qui contient des filières tels que Gestion du patrimoine culturel (GPC), Communication et Média[3] (CM) et gestion des Industries culturelles (GIC) pour résorber ce déficit de cadres en Afrique. Au-delà de cette formation de professionnels du secteur culturel, il est aussi important, pour saisir les opportunités numériques et le contexte de la mondialisation, de disposer d’un meilleur accès au financement afin de moderniser leurs équipements, de concevoir de nouvelles méthodes de production et de distribution et d’adapter leurs modèles commerciaux.
Le faible accompagnement des collectivités locales
En effet, avec l’inefficacité des politiques de décentralisation, les collectivités locales que sont les régions, les communes et les communautés rurales n’ont pas suffisamment de fonds pour la promotion des arts et de la culture. On note également des besoins en matière d’infrastructures et de ressources humaines qui défavorisent le renforcement des entreprises culturelles locales privées. Or la culture fait partie de l’attractivité d’une ville au même titre que son dynamisme économique. Il est donc important que les collectivités locales développent leur stratégie de marketing territorial de la culture et établissent des partenariats publics-privés avec les acteurs culturels. Les dimensions culturelles du développement des territoires se manifestent en chacun de nous à travers différents points de nos coutumes et nos traditions.
L’absence de politiques et de stratégie sous-régionale pour la promotion de la culture
L’industrialisation de la culture africaine n’est possible que s’il existe un marché suffisamment grand pour y écouler les biens et services culturels produits. Avec le numérique, la diffusion et la distribution des biens informationnels et culturels s’en trouve grandement facilitée. Mais en Afrique, on note une faible circulation des produits culturels. Pour le cas de la littérature, il est plus facile de trouver un ouvrage camerounais à Paris qu’au Tchad, Gabon… Les récents accords de libre circulation intra-africaine, lorsqu’ils seront réellement effectifs et mis en œuvre, pourront significativement contribuer au renforcement du commerce des biens et services culturels. Car les industries culturelles constituent un secteur incontournable de la cohésion sociale, de la paix et du développement économique des Etats de chaque sous-région d’Afrique.
Mener une réflexion concertée, multipartite et profonde des mécanismes de financement des projets de l’économie culturelle dans chaque pays en fonction des réalités locales
Aucun modèle d’industrie culturelle ne doit être importé ou imposé à l’Afrique. Chaque pays doit définir et développer les secteurs prioritaires de sa politique culturelle en fonction de l’environnement local. Le plus important est qu’il y ait une coordination entre le gouvernement, le secteur privé et la société civile. Les pouvoirs publics, dans ce cadre, interviennent à trois niveaux indissociables : faciliter l’accès aux consommateurs, stimuler la créativité des acteurs et l’émergence de marchés viables.
Promouvoir les opportunités d’investissements dans le secteur de la culture et du tourisme
Pour y parvenir de manière effective, il faut que la culture soit réellement considérée comme une activité économique à part entière et qu’elle soit soumise aux règles concurrentielles du marché comme les autres secteurs de l’économie. Le champ de la culture et des communications n’échappe plus aux règles fondamentales de l’économie capitaliste (Tremblay, 2008). « Il est inconcevable qu’au moment où on parle de plus en plus d’économie de la culture les porteurs de projets ne soient pas traités comme tout le monde et continuent de bénéficier de subventions à fonds perdus sans pour autant être obligés d’être contrôlés au vu des résultats de leurs projets », complète Espera Donouvossi, chargé de projet au sein du réseau d’entrepreneurs culturels MOKOLO.
- Encourager la recherche technologique, stimuler l’innovation et établir un propice climat des affaires dans le secteur culturel et touristique,
- Promouvoir le partenariat public –privé, le marketing territorial de la culture, le développement de l’économie de la fonction publique territoriale par la culture et le secteur productif de sa main d’œuvre.
En définitive, le passage au numérique est plus qu’une opportunité mais une nécessité pour surmonter les challenges sus évoqués. Le numérique a un énorme impact sur la manière dont les biens et services culturels sont produits, diffusés et consommés. Ces changements offrent des possibilités aux secteurs de la culture. Grâce au numérique, les efforts pour l’industrialisation de la culture africaine peuvent être propulsés, à condition de le faire à bon escient. La baisse des coûts de distribution, l’apparition de nouveaux canaux de distribution et l’émergence de possibilités pour des produits culturels peuvent faciliter l’accès aux œuvres et améliorer leur circulation en Afrique et dans le monde entier.
AFROPOLITANIS